Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/98

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son tabouret et plongeant son regard dans l’église comme s’il eût été le prêtre, je ne me serais pas occupé de ce qu’il eût pu me faire à moi ; car souvent j’avais exercé sa patience ; j’avais vécu de sa tolérance, et jamais je ne lui ai été utile comme bien d’autres eussent pu l’être. Pecksniff, continua Tom sans se douter qu’il était là pour l’entendre, cela m’aurait été bien égal que vous m’eussiez fait à moi quelque injure : j’aurais trouvé moi-même une foule de raisons pour vous excuser à cet égard ; et, m’eussiez-vous maltraité, je n’eusse pas moins continué de vous respecter. Mais pourquoi faut-il que vous soyez tombé si bas dans mon estime ! … Ô Pecksniff, Pecksniff, il n’est rien que je n’eusse donné, non, rien, pour que vous eussiez mérité de justifier la bonne opinion que j’avais toujours eue de vous ! … »

M. Pecksniff s’assit sur l’agenouilloir, en tirant son col de chemise, tandis que Tom, touché jusqu’au vif, prononçait l’apostrophe précédente. Après un intervalle, il entendit Tom descendre les marches en faisant tinter les clefs de l’église ; puis, appliquant de nouveau son œil au sommet du banc, il le vit sortir lentement de l’édifice et fermer la porte.

M. Pecksniff n’osait se retirer du lieu où il était caché : car à travers les fenêtres de l’église, il vit Tom passer le long des tombeaux, s’arrêter parfois devant une pierre sépulcrale et s’y appuyer, comme un homme qui pleure l’ami qu’il vient de mettre en terre. Même après que Tom eût quitté le cimetière, M. Pecksniff resta encore au fond de sa cachette, craignant que, dans son agitation d’esprit, Tom n’eût l’idée de revenir sur ses pas. Enfin il se détermina à sortir, et pénétra d’un pas dégagé dans la sacristie où il savait qu’il existait presque au niveau du sol une croisée par laquelle il pouvait, rien qu’en passant le pied dehors, se libérer de sa prison.

Il était dans une curieuse situation d’esprit, ce bon M. Pecksniff : il n’était pas du tout pressé de s’en aller, il paraissait même plutôt enclin à flâner un peu ; ce qui le détermina à ouvrir l’armoire de la sacristie, et à se regarder dans le petit miroir accroché derrière le battant, à l’usage du desservant. S’apercevant que ses cheveux étaient en désordre, il prit la liberté d’emprunter la brosse ecclésiastique et de s’en servir pour se requinquer. Il prit également la liberté d’ouvrir une autre armoire ; mais il se hâta de la refermer, effrayé à la vue de deux surplis, l’un blanc et l’autre noir, pendus contre le mur, et qui avaient tout à fait l’air de deux curés qui se seraient