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BIE

profit, ne mérite point d’être appelé un bienfaicteur ; son action n’est un commerce, & une négociation. L’antiquité a fait les idoles de ses bienfaicteurs, & n’a pris pour objets de ses adorations religieuses, que ceux qui le devoient être de la reconnoissance publique. Le Mait. Un homme enivré de la félicité du siècle jouit des bienfaits sans regarder le bienfaiteur. Flech.

On appelle dans les Couvents bienfacteurs & bienfactrices, (on doit dire bienfaiteurs ou bienfaicteurs) ceux qui ont fait les fondations, ou qui y ont apporté de grands biens en y entrant, ou qui en ont fait sans y entrer. Autrefois les noms des bienfacteurs s’écrivoient dans le Missel. On les mettoit aussi dans le Calendrier des Moines morts.

BIEN-FAIRE. v. a. S’acquitter comme il faut de son devoir. Officio recte fungi, partes implere. Je fais bien, j’ai bien fait, je fis bien, je ferai bien. Il faut tâcher de bien faire ce que l’on nous ordonne. Il a bien fait sa commission.

Bien-faire. v. n. Obliger quelqu’un par quelque libéralité, par quelque service. Benè mereri de aliquo, præstare officium alicui. On dit plus ordinairement faire du bien.

BIENFAISANCE. s. f. Inclination à faire du bien. Benignè faciendi voluntas. Ce mot est nouveau, & a été hasardé par M. l’Abbé de Saint Pierre dans cette phrase : L’esprit de la vraie Religion & le principal but de l’Evangile, c’est la bienfaisance, c’est-à-dire, la pratique, de la charité envers le prochain. Mém. de Trév. Mai 1725.

Ils croient que Dieu se plaisoit davantage à entendre chanter les louanges, qu’à voir pratiquer la justice & la bienfaisance. L’Ab. de S. Pierre. Pierre l’Hermite croyoit que le Pèlerinage à Jérusalem étoit plus efficace pour le salut, que l’observation de la justice, & la pratique de la patience envers son prochain, & des autres œuvres de bienfaisance. Id.

M. l’Abbé Desfontaines dit, en parlant de M. Rollin, combien de choses ne nous auroit pas pu dire M. Crevier, au sujet de sa bienfaisance, de sa candeur, de la générosité, de ses aumônes & de sa piété tendre & sincère ? Les Journalistes de Trévoux ont employé ce mot en parlant de Madame Rouve. On en fait une dévote parfaite, & l’on donne de grands éloges à sa bienfaisance & à sa générosité, vertus qui brillent le plus dans sa conduite. Messieurs Boutet pere & fils faisoient huit cens livres de pension à M. Rousseau. Il est à propos que ce fait passe à la postérité, avec les honneurs dus à la noble bienfaisance, exercée à l’égard des illustres malheureux. Jugemens sur quelques ouvrages nouveaux. Tom. I, p. 68. Ce mot signifie en ce dernier exemple libéralité, munificence, générosité. Depuis que j’ai vu que parmi les chrétiens on abusoit du terme de charité dans la persécution que l’on faisoit à ses ennemis, & que les hérétiques disent qu’ils pratiquent la charité chrétienne en persécutant d’autres hérétiques, ou les catholiques mêmes… j’ai cherché un terme qui nous rappelât précisément l’idée de faire du bien aux autres, & je n’en ai pas trouvé de plus propre pour me faire entendre, que le terme de bienfaisance. S’en servira qui voudra, mais enfin il me fait entendre, & il n’est pas équivoque. M. L’Abbé de S. Pierre, dans le 2e tom. de juillet 1726, p. 57 & 58 des Mém. de Trév. ☞ Ce terme paroît expressif & analogue. M. de Voltaire s’en est servi dans son discours sur ce que c’est que la vertu. Voici ce qu’en dit cet illustre Auteur.

Certain Législateur, dont la plume féconde
Fit tant de vains projets pour le bien de ce monde,
Et qui depuis trente ans écrit pour des ingrats,
Vient de créer un mot qui manque à Vaugelas,
Ce mot est bienfaisance : il me plaît, il rassemble,
Si le cœur est en cru, bien des vertus ensemble.
Petits Grammairiens, grands Précepteurs des sots,
Qui pesez la parole, & mesurez les mots,
Pareille expression vous paroît hasardée,
Mais l’Univers entier doit en chérir l’idée.

M. l’Abbé Desfontaines, Obs. sur les Ecrits mod. tom. XXX, pag. 124, 125.

BIENFAISANT, ANTE. adj Beneficus. Qui a l’inclination à obliger, à faire du bien aux autres. Il faut qu’un seigneur soit bienfaisant, s’il veut gagner l’amitié du peuple.

Il a un comparatif : n’avois-je pas raison de trouver étrange, que vous, le meilleur, & le mieux faisant de tous les hommes, me refusassiez cinq ou six lignes ? Volt. Je ne crois pas que d’autres aient hasardé ce mot.

BIEN FAIT, AITE. ad. Qui a de la beauté, de l’agrément, de la grâce, qui est bien tourné. Egregius, elegans, venustus, ad unguem factus. Voilà un ouvrage bien fait, une commission bien faite. Cet homme est très-bien fait. C’est un esprit bien fait, un cœur bien fait. On dit aussi, c’est l’homme le mieux fait que j’aie vu : c’est la fille la mieux faite de France.

BIENFAIT, s. m. ☞ Synonyme de grâce, lorsque ce mot signifie un bien que l’on fait a quelqu’un sans y être obligé. Voyez grâce, faveur, office, service. Beneficium, gratia. Les bienfaits s’oublient plus aisément que les injures. Sénèque a écrit un beau traité des Bienfaits, qui a été traduit par Malherbe. Pour conserver de la reconnoissance, il faut s’arrêter au bienfait, sans en rechercher la source, qui est d’ordinaire fort corrompue. Nicol. Ceux que la fortune aveugle & sans choix a comme accablés de ses bienfaits, en jouissent avec orgueil & sans modération. La Bruy. Les bienfaits même veulent être assaisonnés de manières obligeantes. Beil. Un bienfait reproché tient toujours lieu d’offense. Racin. C’est un crime, dit Sénèque, que de rendre le bienfait aussitôt qu’il est reçu, & d’obliger celui qui le fait à le reprendre. Rochef.

☞ Le plus flatteur & le plus solide de tous les plaisirs, c’est d’avoir fait des grâces au-dessus de toute reconnoissance. Ne comptons point nos bienfaits ; ne songeons qu’à les multiplier, mais nos bienfaits ne parleront pour nous qu’autant que nous saurons les taire. Obligeons promptement : la lenteur diminue le prix des biens qu’on attend de nous, ou fait du moins qu’on les paye de trop d’impatience. Si nous recevons quelque grâce, ne pénétrons pas jusqu’à l’intention de celui qui nous l’a faite : nous y pourrions découvrir des motifs qui diminueroient notre reconnoissance, & rien ne doit jamais la diminuer.

☞ On dit proverbialement qu’un bienfait n’est jamais perdu, pour dire que les moindres personnes à qui l’on fait du bien, peuvent trouver occasion de le reconnoître. On dit proverbialement & figurément qu’il y a des gens qui écrivent les injures sur le cuivre, & les bienfaits sur le sable ; pour dire qu’ils n’oublient point les injures, & qu’ils perdent bientôt le souvenir des bienfaits.

☞ On dit bienfait du temps, en parlant d’événemens, d’occasions favorables, qui peuvent faire réussir nos projets. Il attendoit tout du bienfait du temps : il mettoit la ressource dans le bienfait du temps. Le Cardinal Mazarin attendoit des occasions favorables, une division dans le Parlement, une mutation dans les peuples, la majorité du Roi, bref le bienfait du temps qui ne peut manquer à celui qui dispose de l’autorité Royale. Mém. de la Rochefoucault.

Bienfaits. s. m. pl. Bonnes actions, actions méritoires. Dieu tiendra compte à ses élus de leurs bienfaits. Dans ce sens il n’est pas usité.

Bienfait, en termes de Coutumes, se dit aussi de la troisième partie des biens successifs du père & de la mère, dont la jouissance par usufruit étoit donnée aux puînés, & entr’autres en la Coutume d’Anjou.

Bienfait. ☞ Divinité du Paganisme. Beneficium. A la honte de l’humanité, c’est de tous les Dieux celui dont le culte est le plus négligé. L’Égoïsme a pris la place. C’est Démocrite qui fit un Dieu du bienfait. V. Pline, Liv. XI, ch. 7, Budé sur les Pandectes, pag. 46, & Cyraldus, Synt. Deor. pag. 53. Démocrite ne reconnoissoit que les deux Divinités, la Peine & le Bienfait.