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de mauvais Génies qui persécutoient les hommes. Les Chaldéens admettoient de même un bon Principe, & un mauvais Principe, ennemi des hommes. Les Relations qui parlent de la Religion des Américains, & de quelques autres peuples idolâtres, disent qu’ils adorent le Diable. Mais il ne faut pas prendre ce terme selon le style de l’Ecriture : ces peuples ont l’idée de deux Etres collatéraux, donc l’un est bon & l’autre méchant : Ils mettent mal-à-propos la terre sous la conduite de l’Etre malin que les Chrétiens appellent le Diable.

Et quel objet enfin à présenter aux yeux,
Que le Diable toujours heurlant contre les cieux,
Qui souvent avec Dieu balance la victoire ?

Boileau.

☞ En Poësie & dans le style élevé on substitue ordinairement une périphrase à la place du mot Diable, comme a fait Corneille dans Polyeucte.

Ainsi du genre humain l’ennemi vous abuse.

☞ Cette périphrase est noble, dit Voltaire, & le nom propre eût été ridicule.

Le vulgaire se représente le Diable avec des cornes & une longue queue. L’ennemi du genre humain donne l’idée d’un être terrible qui combat contre Dieu même. Toutes les fois qu’un mot présente une image ou basse, ou dégoûtante, ou comique, ennoblissez la par des images accessoires ; mais aussi ne vous piquez pas de vouloir ajouter une grandeur vaine à ce qui est imposant par soi-même. Voyez au mot Démon les remarques de M. l’Abbé Girard.

Le mot de Diable vient du Latin Diabolus, en Grec Διαβολος, qui veut dite, Calomniateur, accusateur, trompeur.

Le peuple se sert de ce mot en une infinité de phrases, & sur-tout pour exagérer les choses, soit en bien, soit en mal. Il est vaillant en Diable. C’est un Diable incarné, un Robert le Diable. Il fait le Diable à quatre ; pour dire, il le faut tenir à quatre, il est méchant, violent, emporté. C’est un Diable d’homme, un Diable en procès ; pour dire, un grand chicaneur.

Une femme d’esprit est un Diable en intrigue.

Molière.

Ne montez point ce cheval, c’est un Diable, il l’a battu en Diable, en Diable & demi, comme tous les Diables. On dit d’un homme que c’est un bon Diable ; pour dire, un bon vivant : un méchant Diable ; pour dire un homme dangereux : un pauvre Diable ; pour dire, un misérable.

Quand Sa Majesté me feroit
Quelque bienfait considérable ;
Grand Roi pas moins il ne seroit,
Et j’en serois moins pauvre Diable. Scar.

Savant en Diable ; c’est-à-dire, fort savant. On dit, d’un médisant, qu’il dit le Diable d’un autre ; pour dire, qu’il en dit tout le mal qu’on en peut dire. On dit c’est le Diable, c’est-là le Diable ; pour dire, c’est-là la difficulté, c’est-là ce qu’il y a de fâcheux. Scarron, pour expliquer le hoc opus, hic labor est de Virgile, dit, mais d’en revenir, c’est le Diable.

Joinville dit qu’il n’avoit oui Saint Louis nommer ni appeler le Diable, si ce n’étoit quand il lisoit quelque Livre ; & que c’est une chose très-honteuse aux Princes de souffrir qu’on le nomme : qu’on ne pouvoit dire trois mots, que le nom du Diable n’y fût entrelacé.

Diable, se dit, dans la conversation & dans le style familier, pour Méchant.

Car Raminagrobis
Fait en tous lieux un étrange carnage.
Ce Chat, le plus Diable des Chats,
S’il manque de Souris, voudra manger les Rats.

La Font.

On dit d’un méchant homme, c’est un Diable ; d’un enfant incommode, malin, c’est un petit Diable. On dit aussi d’un homme qui a beaucoup d’esprit, de finesse, de ruse, que c’est un Diable, qu’il a de l’esprit comme un Diable. Cela emporte néanmoins toujours quelque idée de mauvaise qualité. On diroit, il a de l’esprit comme un Ange, ou comme les Anges, d’un sujet qui, avec beaucoup d’esprit, n’auroit rien que de louable. Segrais nous montra ou nous voulut montrer un recueil qu’il a fait de chansons de Blot : elles ont le Diable au corps, & c’est dommage qu’il y ait tant d’esprit. Me de Sev.

Diable, se dit proverbialement en ces phrases : le Diable n’est pas toujours à la porte d’un pauvre homme ; pour dire, que la mauvaise fortune donne quelquefois du relâche. Le Diable est aux vaches ; pour dire, que tout est en trouble, en confusion. On dit par imprécation, le Diable s’en pende, le Diable vous emporte, je me donne au Diable, si, &c. D’autres disent, je me donne au Maître des Diables : ils entendent Dieu par le Maître des Diables. Au Diable, est une imprécation. Au Diable soient tous les Normands, dit la chanson, Judas étoit Normand, &c.

Le Démon cauteleux & fin
En a fait l’abord effroyable,
Sachant bien que le pèlerin
Se donneroit cent fois au Diable,
Et se damneroit par chemin. La Chap.

Il n’est pas si Diable qu’il est noir ; pour dire, il est meilleur qu’on ne pense. On dit, tirer le Diable par la queue ; pour dire, avoir de la peine à vivre. On dit, il ne le faut pas donner au Diable pour faire cela ; pour dire, qu’une chose est facile. Quand on ne peut venir à bout d’une chose, on dit que le Diable s’en mêle. Cela s’en est allé à tous les Diables ; pour dire, on ne sait ce que cela est devenu. Le Diable pourroit mourir, que je n’hériterois pas de ses cornes ; pour dire, personne ne me donne rien. On dit d’un méchant homme, d’un chicanneur qui trouble le repos des autres, que, quand il dort, le Diable le berce. On dit qu’un homme fait comme le valet du Diable, quand il fait plus qu’on ne lui commande. On dit que le Diable étoit beau quand il étoit jeune, pour dire, que la jeunesse a quelque chose d’agréable, même dans les personnes les plus laides. Acad. Fr. C’est la race du Diable, quand on a épluché tout le véreux, il ne reste rien ; pour parler d’une famille de scélérats. On dit d’un homme avare, que, s’il mangeoit le Diable, il n’en donneroit pas les cornes. Il vaut mieux tuer le Diable, que le Diable nous tue ; pour dire, qu’il vaut mieux tuer un homme, que de s’en laisser tuer, ou faire porter une perte à un autre, que de la souffrir soi-même. On dit d’un grand mangeur, qu’il mangeroit le Diable, s’il étoit cuit.

On dit aussi ironiquement à des hâbleurs, pour montrer qu’on ne croit rien de ce qu’ils disent, Au Diable-zot. Il y a apparence que cela vient d’une imprécation tronquée, & qu’on a voulu dire, allez au Diable, au Diable : on a retranché le dernier & le premier mot, & on a mis un z pour éviter la cacophonie ; car le mot zot n’est point de la langue ; de sorte qu’il faut que ce soit une orthographe corrompue. Vous pensez qu’on doit vous croire, Diable-zot : c’est-à-dire, je ne suis pas assez sot pour cela. Vous me conseillez de faire cela, Diable-zot : c’est à-dire, je ne suis point assez sot pour le faire. Ce mot se trouve dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie Françoise. Sancho Pança, tome. 2 de