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choses pour opérer la digestion : une liqueur pour arroser les alimens ; c’est la salive & le suc de l’estomac : un vase, c’est l’estomac : une force mouvante pour broyer ; ils croient la trouver dans les muscles de l’estomac, dans ceux du diaphragme & de l’abdomen : ils prétendent que la puissance de mouvoir qui est dans les muscles de l’estomac équivaut à un poids de 148 235 livres, & la force de l’estomac toute seule à un poids de 12 951 livres, & qu’ainsi ces deux forces unies équivalent à un poids de 161 186 livres ; puissance supérieure à celle d’une des plus puissantes meules. Voy. le Traité de la Digestion par M. Hecquet. M. Borelli, suivant le calcul propre de l’équilibre des liqueurs, a démontré que la force du muscle fléchisseur de la dernière articulation du pouce est égale à 2 730 livres ; d’où M. Pitcarne a conclu que la force des fibres de l’estomac est égale à 12 951 livres, & celle du diaphragme & des muscles du bas-ventre à 148 235 livres. Sa raison est : le fléchisseur ne pèse que 122 grains, & peut porter 3 720 livres, donc les forces de l’estomac qui pèsent 8 onces, & le diaphragme avec les muscles du bas-ventre, qui pèsent ensemble 8 223 grains, ont la force que l’on vient de marquer. Mais ce raisonnement paroît porter à faux : car ce n’est pas en vertu de son poids de 122 grains que le muscle dont il s’agit est égal à 3 720 livres. De plus il s’ensuivroit que, plus un muscle, plus l’estomac, un diaphragme, les muscles du bas-ventre seroient pesants, plus ils auroient de force, plus la digestion se feroit aisément & vite : ce qui est faux. M. Boher ne porte la force des fibres de l’estomac qu’à 110 708 livres. Les Partisans de la Trituration ajoutent tous les muscles du corps, qui concourent, disent-ils, à produire le même effet. De plus, dans la machine du corps de l’animal, ils comparent le cerveau à l’arbre du pressoir, le cœur au piston, les poumons aux soufflets, la bouche à la meule & aux pilons, l’estomac au pressoir, les boyaux au réservoir, ou à la cuve. Ils disent que Castellan, Médecin de Messine, a été le premier des Modernes à parler expressément des levains, & qu’il a été suivi par Wanhelmont, & par Willis. Du reste, les Partisans de la Trituration ne sont pas d’accord entr’eux. M. Pitcarne prétend que la Trituration se fait par le resserrement total de l’estomac, & M. Hecquet par un resserrement successif, pésistaltique, vermiculaire, par des oscillations.

M. Astruc, dans un Traité de la Cause de la Digestion, réfute fort en détail ce systême de la Trituration : il en conteste fortement le calcul, qui fait monter si haut la force mouvante des fibres de l’estomac : il soutient qu’elle n’équivaut qu’à trois onces, & que celle des muscles du bas-ventre n’excède pas quatre livres : s’il donne à la force de l’estomac, pour comprimer les alimens qui y sont descendus, trois onces, c’est encore gratuitement. Il évalue celle du diaphragme & des muscles du bas-ventre à environ quatre livres. Il observe que M. Pitcarne, vraisemblablement étonné lui-même de ce qu’il avançoit de cette force, n’a osé suivre la proportion sur laquelle pourtant il se fonde, & selon laquelle il faudroit faire monter ces forces l’une à 117 088 livres, & l’autre à 250 734 livres, ce qui fait ensemble 367 822 livres.

Le diaphragme a deux forces en son mouvement ; une directe, qui est celle par laquelle ses muscles le tendent, en le tirant vers la circonférence ; l’autre latérale, par laquelle il appuie sur l’estomac & le presse. Celle-ci est petite en comparaison de celle-là. Ce qui a trompé Messieurs Pitcarne & Hecquet, c’est qu’ils ont pris la force directe pour la latérale, la contraction du diaphragme pour sa pression sur l’estomac. Ils sont tombés dans la même erreur par rapport aux muscles du bas-ventre, dont la pression contre le bas-ventre n’est encore que latérale. Il y a plus ; car des animaux très-voraces, ou n’ont point de diaphragme, comme les poissons, qui respirent par les ouies, ou en ont d’une simple membrane, comme les oiseaux, qui avec cela ont les muscles du bas-ventre très-petits & très-foibles, & dans une situation à ne point agir sur l’estomac.

Les membranes de l’estomac n’ayant qu’un foible mouvement, & n’ayant aucune dureté, ne sont pas propres à faire l’office d’une meule. Il est vrai que, dans les poules & quelques oiseaux, l’estomac est composé d’un muscle charnu & dense, fort jusqu’à briser de petites pierres & des morceaux de verre : mais on répond que ce n’est pas-là une digestion, laquelle se fait dans les intestins de ces animaux. Et la structure de notre estomac, par comparaison au gésier des oiseaux qui se nourrissent de grain, fournit au contraire une raison forte contre la trituration. Le gésier est garni en dehors de quatre muscles charnus, dont les tendons se réunissent en deux points opposés : en dedans il est revêtu d’une membrane dure, épaisse & cartilagineuse, principalement aux endroits où se fait la réunion des tendons. La nature fait voir à l’œil par cette construction que l’office du gésier est de broyer les grains par le frottement de ses parois. Au lieu que la membrane de l’estomac de l’homme est mince, & garnie de peu de fibres charnues, couvertes en-dedans d’une espèce de duvet délicat & sensible ; & l’estomac est d’une grande capacité. L’estomac des oiseaux carnassiers, qui dévorent de gros morceaux de chair crue sans les mâcher, est d’une membrane encore plus mince. Enfin il paroît à M. Astruc que, dans le système de la Trituration, on ne sauroit expliquer ce que c’est que la faim, le dégoût, l’indigestion.

Dans le systême de la Trituration, il paroît impossible d’expliquer pourquoi certaines choses faciles à broyer, par exemple, des choux-fleurs, ne peuvent se digérer en certains estomacs, qui digèrent sans peine des alimens assez durs, comme le bœuf & le mouton ; au lieu que la diversité des dissolvans est une explication naturelle & aisée. Les hydropiques ne laissent pas de digérer, quoique les fibres de leur estomac, de même que toutes les autres parties de leurs corps, soient extrêmement relâchées par l’abondance d’humeurs. Le total & prompt changement de nature qui arrive aux alimens, ne sauroit être l’effet que de la fermentation, qui se fait même sentir par les rots, tandis qu’elle se fait.

M. Astruc a démontré, par le calcul géométrique, que la force de l’estomac n’est égale qu’à trois onces, & celle de l’abdomen à quarre livres. Le fer & les aiguilles qui se sont trouvés dans quelques estomacs, ne détruisent point le systême de la fermentation, puisqu’il est constant que tout dissolvant ne dissout pas tous les corps. Dans les oiseaux qui se nourrissent de grain, la fermentation est manifeste, premièrement dans le jabot, où le grain se prépare à la digestion par une liqueur semblable à la salive, & puis dans le gésier, où la digestion s’achève par un dissolvant qu’y verse une glande conglomérée. Cela est encore plus évident dans les animaux qui ruminent, & qui ont comme quatre estomacs : les deux premiers, quoique faits d’une membrane nerveuse, causent peu de changement à la nourriture, manque de ferment ou de dissolvant : elle revient donc pour être mâchée, & ce n’est que dans le quatrième qu’elle est bien digérée, à cause qu’une glande conglomérée y verse un dissolvant.

Quoique les anciens Médecins & Philosophes ne se soient exprimés sur la digestion qu’en termes généraux, de fondre, ramollir, dompter, assujettir, de concrétion, de qualités, M. Astruc prétend néanmoins qu’ils donnent assez à entendre ce que nous appelons fermentation. Ainsi Empédocle & Hippocrate disent, que la digestion se fait par la putréfaction des alimens, comme le même Empédocle dit que, de l’eau, se fait le vin par putréfaction. Hippocrate & Aristote usent du terme de concoction, qu’on trouve aussi dans Erotien, Plutarque & Actuarius, pour exprimer comment les fruits murissent,