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comment le moût se change en vin, & comment la pâte se lève. Hippocrate nomme expressément l’effervescence & la fermentation. De Vetere Medicina, C. 5. Et Gallien aussi, L. De consuetudine, C. 2. D’ailleurs il assure qu’une sérosité particulière de l’estomac, la bile & les esprits concourent à la digestion. Quant à Erasistrate, que les dégenseurs de la Trituration mettent de leur parti, il n’admettoit pas le seul broiement des alimens : il y joignoit le secours des esprits, dit M. Astruc, lesquels sans doute faisoient l’office d’un ferment volatil. Il en est de même de Cicéron, qui, selon l’opinion de son temps, attribue la digestion à la chaleur de l’estomac. L. II. De Nat. Deor. Ce suffrage de l’Antiquité est un préjugé contre la Trituration.

L’explication de M. Hecquet, par un resserrement successif, &c. se détruit d’elle-même. Où est le moulin qui écrase le grain sans le presser, & en l’agitant seulement & le balotant ?

La salive, la bile, le suc pancréatique, sont les levains qui sont la digestion des alimens dans l’estomac. Cela est si vrai, qu’en certains animaux voraces, dans les loups, par exemple, dans les porcs-épics, les autruches, la bile se décharge immédiatement dans la cavité de l’estomac, & l’on a remarqué une disposition à-peu-près semblable dans un homme qui avoit été grand mangeur. On ne reconnoît la fermentation de la pâte & du moût qu’à trois marques. 1o. En ce que la pâte s’élève & se gonfle, & que le moût bouillonne & se raréfie. 2o. En ce que le pain & le vin, formés par ces fermentations, ont un goût & des qualités différentes de celles que la farine & le moût avoient auparavant. 3o. En ce que le pain & le vin fournissent par la distillation des principes différens, à certains égards, de ceux qu’on tire du moût & de la farine. Or tout cela se trouve dans le changement que souffrent les alimens par la digestion. Il y a des glandes dans l’estomac destinées sans doute à filtrer une liqueur propre à avancer la fermentation des alimens dans l’estomac & leur digestion.

On objecte contre ce systême, que le chyle ne donne point d’esprit inflammable. M. Astruc répond, qu’il n’en résulte pas de toute fermentation, qu’il n’en vient point de la pâte, ni des fruits pourris, ni des acides & des alcalis purs : l’esprit inflammable demande un soufre dégagé & atténué, ce qui ne se trouve pas en toutes les fermentations.

Mais, dit M. Hecquet, en 24 heures, il se prépare une livre de salive, une demi-livre de bile, & du moins deux onces du suc pancréatique, à quoi il faut ajouter le suc stomacal semblable à la salive ; c’est environ deux livres, ou 13 824 grains de levain ; or un grain de levain, selon les Chymistes, assujettit 803 grains de la matière qu’il a à perfectionner : les deux livres ou environ de levain pourroient donc assujettir environ 1 200 livres d’alimens. Cependant un homme n’en prend pas plus de quatre livres par jour. On répond 1o. que, de l’aveu de M. Hecquet, la vertu de fermenter n’appartient qu’aux sels, & que, selon lui, la demi livre de bile ne contient que trente grains de sel ; que la livre de salive, avec les deux onces de suc pancréatique, & le suc stomacal, n’en contiennent que 14 grains ; en sorte que le levain de chaque jour ne reviendroit qu’à 44 grains, qui ne suffiroient pas pour deux livres d’alimens. Mais M. Hecquet diminue trop la quantité de ces sels, que des Auteurs exacts, comme Verheyen, font beaucoup plus grande. Il y faut ajouter le sel volatil mêlé avec le flegme & les esprits. 2o. qu’il n’est pas vrai qu’il faille toujours un grain, ou qu’il ne faille qu’un grain de levain pour assujettir 800 grains de matière ; l’expérience contredit cette règle. En quelques fermentations, il n’est pas besoin de levain ; en d’autres il en faut plus ou moins. Les levains agiroient, dit-on, sur les membranes de l’estomac, ils les dissoudroient. Ils y agissent en effet & les picotent, quand ils n’ont point d’alimens sur lesquels ils puissent agir ; c’est ce qui fait le sentiment de la faim : s’ils les corrodent, elles se réparent par la nourriture qui leur est propre. L’estomac est quelquefois incommodé & rongé par le ferment ; mais communément il est préservé par une matière visqueuse, dont il est enduit. On répond 3o. qu’il est faux qu’il ne se trouve point de ferment dans l’estomac ; que Vallæus, ayant laissé un chien trois jours sans manger, lui trouva dans l’estomac beaucoup de bile en forme d’écume. De plus, les Partisans de la Trituration ont la même objection à résoudre ; car le frottement des alimens devroit offenser considérablement ces membranes.

Les défenseurs du troisième sentiment disent qu’on ne peut nier qu’il n’y ait dans l’estomac, des acides qui agissent sur les alimens auxquels ils se mêlent, & que l’action des acides ne soit aidée & fortifiée par le mouvement de systole & de diastole qu’ont nos viscères ; que l’action des acides cause la fermentation, & le mouvement des viscères la trituration ; & qu’ainsi la digestion se fait en même-temps, & par fermentation & par trituration.

M. Lister, dans le Chap. 17e de sa Dissertation des Humeurs, réfute l’opinion qui fait consister la digestion dans le broiement. Au contraire, M. Pitcarne, Médecin Écossois, tient pour le broiement ou la trituration, &, dans son dernier Opuscule, il réfute M. Astruc. M. Boher soutient la même chose, en Mathématicien & en Géomètre. Baglivi, Auteur célèbre, a prouvé qu’en cette matière le calcul géométrique est impraticable ; mais il a prétendu montrer que la force des solides est supérieure à celle des liquides. M. Bertrand, Médecin de Marseille, a tâché de concilier les deux opinions, en donnant également part aux liqueurs & aux vaisseaux dans la digestion. Les liquides, selon lui, commencent l’action, & donnent le mouvement aux solides qui la continuent. Les liquides & les solides sont en action réciproque les uns contre les autres, & ceux-ci n’ont pas une action purement passive à l’égard des autres. Quelques Auteurs prétendent que la digestion se fait par putréfaction, mais putréfaction & fermentation c’est la même chose. Voyez sur ces disputes les Opuscula Medica de M. Pitcarne, Médecin Écossois, Dissert. V. & M. Hecquet, Traité de la Digestion, Lister, Boher, Baglivi, M. Astruc, Traité de la cause de la Digestion, imprimé à Paris en 1714, & des Réflexions insérées dans les Mémoires de Trévoux 1714, dans le mois de Février, &c.

Quoi qu’il en soit de ces trois opinions, voici ce qui concourt de la part de l’homme à la digestion des alimens qu’il prend. Comme la digestion ne se fait que pour préparer les alimens, afin qu’ils puissent servir à la nutrition, il faut considérer les alimens depuis que l’homme les prend, jusqu’à ce qu’étant changés en chyle, ils se mêlent au sang qui les porte dans toutes les parties du corps. Les alimens que nous prenons sont ou crus, comme les huîtres, les fruits, certains légumes, &c. ou cuits, comme les viandes & le poisson, qu’on fait rôtir, frire ou bouillir, & qu’on assaisonne en mille manières différentes avec du sel, du poivre, ou d’autres épiceries, des aromates, du vin, du vinaigre, &c. autant pour en relever le goût, que pour aider à la digestion. De plus, il y a des alimens qu’on avale sans les mâcher, comme les huîtres & les liqueurs, &c. d’autres qu’on broie en les mâchant, comme le pain, les viandes, &c. C’est de ces derniers qu’il faut parler, parce qu’ils reçoivent de notre part plus de préparations, qui y causent différens changemens nécessaires pour qu’ils nous nourrissent, & que les autres en reçoivent moins. D’abord l’aliment est divisé & broyé par les dents, & en même-temps abreuvé d’une liqueur que les glandes salivaires fournissent, ce qui lui donne une forme de pâte : quand il est ainsi pétri & préparé, il passe par l’œsophage dans l’estomac, où il fermente. Cette fermentation est causée 1o. par le suc salivaire, qui est un ferment, & qui fait aux alimens