Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/144

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de l’univers… Eh bien, il n’y a qu’à souffler et remuer les doigts, il n’y a qu’à prendre un roseau et s’en faire une flûte. Dans un âge plus avancé, j’ai répété le propos de mon enfance ; aujourd’hui je le répète encore, et je reste autour de la statue de Memnon.

MOI. — Que voulez-vous dire avec votre statue de Memnon ?

LUI. — Cela s’entend, ce me semble. Autour de la statue de Memnon, il y en avait une infinité d’autres, également frappées des rayons du soleil ; mais la sienne était la seule qui résonnât. Un poëte, c’est Voltaire, et puis qui encore ? Voltaire ; et le troisième ? Voltaire ; et le quatrième ? Voltaire. Un musicien, c’est Rinaldo de Capoua ; c’est Hasse ; c’est Pergolèse ; c’est Alberti ; c’est Tartini ; c’est Locatelli ; c’est Terradeglias ; c’est mon maître, c’est ce petit Duni, qui n’a ni mine, ni figure, mais qui sonne, mordieu ! qui a du chant et de l’expression. Le reste, auprès de ce petit nombre de Memnons, autant de paires d’oreilles fichées au bout d’un bâton : aussi sommes-nous gueux, si gueux, que c’est une bénédiction. Ah ! monsieur le philosophe, la misère est une terrible chose. Je la vois accroupie, la bouche