Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/18

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— Ta gueule, toussa Fouillard dans la fumée. C’est déjà toi qu’as pas voulu qu’on brûle la porte et qu’on aille chercher c’te saloperie de bois vert qui n’veut pas prendre. Comme si c’était pas la guerre.

— Sûr que c’est la guerre, approuva le petit Belin qui avait projeté de se faire un gilet avec une redingote et en découpait soigneusement les basques.

— C’est vrai, nous faisons la guerre, répéta le nouveau, en trinquant avec Broucke.

Et regardant Sulphart en pantalon de linon, il se mit à rire.

— Ça ne se dirait pas, dit-il. On s’amuse au moins au front. J’en étais sûr que je m’ennuierais moins qu’à la caserne.

Bréval, dont la face creuse avait repris ses deux plis de tourment en travers des joues, le regarda en hochant la tête :

— Tu ne te figures pas que c’est tous les jours comme ça, non ? tu te tromperais, tu sais.

Le nez dans son quart, Fouillard ricanait. Sulphart, compatissant, haussa simplement les épaules.

— Ça ne sait pas, dit-il.

— Si tu t’étais tapé Charleroi comme moi, lui dit Lagny, à la figure ratatinée de vieille femme, t’aurais pas été si pressé de revenir.

— Et encore, t’as pas fait la retraite, toi, intervint Vairon. J’te jure que c’était pas la pause.

— C’est ça qu’a été le plus dur, approuva Lemoine.

— Et la Marne ? demanda Demachy.

— La Marne, c’était rien, trancha Sulphart. C’est pendant la retraite qu’on en a le plus roté. C’est là qu’on a reconnu les hommes…