Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/234

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Les cirques ont eu du succès. On dit que l’an prochain ils en auront un plus grand encore. Avez-vous remarqué, messieurs, comment notre simple peuple s’amuse pendant ces fêtes ? Supposons que nous sommes dans le Jardin d’été. Une foule compacte, énorme, marche lentement, en rangs serrés. Tous ont des habits neufs. Parfois des femmes de boutiquiers, des jeunes filles se permettent de grignoter des noisettes. Quelque part un orchestre isolé joue. Le trait caractéristique, c’est que tous attendent quelque chose. Sur tous les visages est peinte la question naïve : et après ? C’est tout ? À peine si quelque part un cordonnier allemand ivre fait du bruit, et encore n’est-ce pas pour longtemps. Cette foule a l’air de déplorer ces mœurs nouvelles, ces amusements de la capitale. Elle rêve d’un trépak, d’une balalaïka, le veston sur l’épaule, le vin qui déborde ; en un mot tout ce qui permettrait de s’épanouir, de déboucler la ceinture. Mais les convenances s’y opposent, et la foule se disperse posément dans ses demeures, avec quelques évasions sans doute dans les débits de boissons.

Il me semble qu’il y a là quelque chose qui nous ressemble, messieurs. Bien entendu, nous ne montrons pas naïvement notre étonnement ; nous ne demandons pas si c’est tout. Nous savons très bien que pour nos quinze roubles nous avons reçu un plaisir civilisé, et cela nous suffit. Et chez nous viennent des célébrités si patentées que nous ne pouvons pas être mécontents ; et nous avons appris à ne nous étonner de rien. S’il n’est pas Rubini [1], le chanteur ne vaut rien pour nous. Si ce n’est pas Shakespeare, à quoi bon perdre

  1. Célèbre ténor italien.