Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/256

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c’est un grand plaisir. Je ne sais pas si vous comprenez ma joie. Mais en vérité il est très agréable de se réunir, de s’asseoir et de bavarder des intérêts publics. Parfois même je suis prêt à chanter de joie, quand je rentre dans la société et vois des hommes solides, sérieux, très bien élevés, qui se sont réunis, parlent de quelque chose sans rien perdre de leur dignité. De quoi parlent-ils ? ça c’est une autre question. J’oublie même, parfois, de pénétrer le sens de la conversation, me contentant du tableau seul.

Mais jusqu’ici, je n’ai jamais pu pénétrer le sens de ce dont s’entretiennent chez nous les gens du monde qui n’appartiennent pas à un certain groupe. Dieu sait ce que c’est. Sans doute quelque chose de charmant, puisque ce sont des gens charmants. Mais tout cela paraît incompréhensible. On dirait toujours que la conversation vient de commencer ; comme si l’on accordait les instruments. On reste assis pendant deux heures et, tout ce temps, on ne fait que commencer la conversation. Parfois tous ont l’air de parler de choses sérieuses, de choses qui provoquent la réflexion. Mais ensuite, quand vous vous demandez de quoi ils ont parlé, vous êtes incapable de le dire : de gants, d’agriculture, ou de la constance de l’amour féminin ? De sorte que, parfois, je l’avoue, l’ennui me gagne. On a l’impression de rentrer par une nuit sombre à la maison en regardant tristement de côté et d’entendre soudain de la musique. C’est un bal, un vrai bal. Dans les fenêtres brillamment éclairées passent des ombres ; on entend des murmures de voix, des glissements de pas ; sur le perron se tiennent des agents. Vous passez devant, distrait, ému ; le désir de quelque chose s’est éveillé