Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en vous. Il vous semble avoir entendu le battement de la vie, et, cependant, vous n’emportez avec vous que son pâle motif, l’idée, l’ombre, presque rien. Et l’on passe comme si l’on n’avait pas confiance. On entend autre chose. On entend, à travers les motifs incolores de notre vie courante, un autre motif, pénétrant et triste, comme dans le bal des Capulet de Berlioz. L’angoisse et le doute rongent votre cœur, comme cette angoisse qui est au fond du motif lent de la triste chanson russe.

 
Écoutez... d’autres sons résonnent.
Tristesse et orgie désespérées...
Est-ce un brigand qui a entonné, là-bas, la chanson ?
Ou une jeune fille qui pleure à l’heure triste des adieux ?
Non ; ce sont les faucheurs qui rentrent de leur travail...
Autour sont les forêts et les steppes de Saratov.


Ces jours-ci, c’était la fête du septième jeudi après Pâques. C’est une fête populaire en Russie. Avec elle le peuple salue le printemps et, dans toute la terre russe, on tresse des couronnes. Mais, à Pétersbourg, le temps était froid et morose ; la neige tombait ; les bouleaux n’avaient pas éclos leurs bourgeons détruits par la grêle. La journée ressemblait beaucoup à une journée de novembre, quand on attend la première neige, quand la 39

Néva, gonflée par le vent, hurle et que le vent siffle dans les rues. Il me semble toujours que, par un temps pareil, le Pétersbourgeois est fâché et triste ; et mon cœur se serre en même temps que mon feuilleton. Il me semble toujours que tous, mécontents, restent à la maison, tantôt potinant, tantôt se querellant avec leurs femmes, tantôt se courbant sur un dossier de l’administration, tantôt jouant toute la nuit au whist,