Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/259

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passe et demain peut-être rencontrerez-vous de nouveau le même regard triste, pensif et distrait, le même visage pâle, la même soumission et la même timidité dans les mouvements, la fatigue, l’inertie, une sourde angoisse et même les traces d’un dépit inutile pour l’élan éphémère. Mais à quoi bon les comparaisons ! Et qui en veut maintenant ? Nous sommes allés à la campagne pour vivre près de la nature, contemplativement, sans comparaisons ; pour jouir de la nature, nous reposer, paresser et laisser tous ces soucis inutiles et trépidants dans les beaux appartements jusqu’en des temps plus propices.

J’ai d’ailleurs un ami qui, ces jours-ci, m’a affirmé que nous ne savons même pas être paresseux. Il prétend que nous paressons lourdement, sans plaisir, ni béatitude, que notre repos est fiévreux, inquiet, mécontent ; qu’en même temps que la paresse, nous gardons notre faculté d’analyse, notre opinion sceptique, une arrière-pensée, et toujours sur les bras une affaire courante, éternelle, sans fin. Il dit encore que nous nous préparons à être paresseux et à nous reposer comme à une affaire dure et sérieuse et que, par exemple, si nous voulons jouir de la nature, nous avons l’air d’avoir marqué sur notre calendrier, encore la semaine dernière, que tel et tel jour, à telle et telle heure, nous jouirons de la nature. Cela me rappelle beaucoup cet Allemand ponctuel qui, en quittant Berlin, nota tranquillement sur son carnet. « En passant à Nuremberg ne pas oublier de me marier. » Il est certain que l’Allemand avait, avant tout, dans sa tête, un système, et il ne sentait pas l’horreur du fait, par reconnaissance pour ce système. Mais il faut bien avouer que dans nos actes à nous, il n’y a même aucun système. Tout se fait ainsi