Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme par une fatalité orientale. Mon ami a raison en partie. Nous semblons traîner notre fardeau de la vie par force, par devoir, mais nous avons honte d’avouer qu’il est au-dessus de nos forces, et que nous sommes fatigués. Nous avons l’air, en effet, d’aller à la campagne pour nous reposer et jouir de la nature. Regardez avant tout les bagages que nous avons emportés. Non seulement nous n’avons rien laissé de ce qui est usé, de ce qui a servi l’hiver, au contraire, nous y avons ajouté des choses nouvelles. Nous vivons de souvenirs et l’ancien potin et la vieille affaire passent pour neufs. Autrement c’est ennuyeux ; autrement il faudra jouer au whist avec l’accompagnement du rossignol et à ciel ouvert. D’ailleurs, c’est ce qui se fait. En outre, nous ne sommes pas bâtis pour jouir de la nature ; et, en plus, notre nature, comme si elle connaissait notre caractère, a oublié de se parer au mieux. Pourquoi, par exemple, est-elle si développée chez nous l’habitude très désagréable de toujours contrôler, éplucher nos impressions – souvent sans aucun besoin – et, parfois même, d’évaluer le plaisir futur, qui n’est pas encore réalisé, de le soupeser, d’en être satisfait d’avance en rêve, de se contenter de la fantaisie et, naturellement, après, de n’être bon à rien pour une affaire réelle ? Toujours nous froisserons et déchirerons la fleur pour sentir mieux son parfum, et ensuite nous nous révolterons quand, au lieu de parfum, il ne restera plus qu’une fumée. Et cependant, il est difficile de dire ce que nous deviendrions si nous n’avions pas au moins ces quelques jours dans toute l’année et si nous ne pouvions satisfaire par la diversité des phénomènes de la nature notre soif éternelle, inextinguible de la vie naturelle, solitaire. Et