Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/262

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quelle forme. Montrez-nous une affaire et, principalement, intéressez-nous par cette affaire. Laissez-nous l’exécuter nous-mêmes, et laissez-nous montrer notre propre capacité créatrice individuelle.

Êtes-vous capable de le faire ou non ? Non. Alors il n’y a pas à accuser. C’est parler inutilement. Précisément, chez nous, l’affaire vient spontanément. Elle ne trouve point de sympathie dans notre âme, et ici paraît alors la capacité purement russe de travailler comme par force, de travailler mal, pas honnêtement et, comme on dit, en rabattant ses manches. Cette qualité caractérise nettement nos mœurs nationales et se montre en tout, même dans les faits les plus minimes de la vie courante. Chez nous, par exemple, il n’y a pas moyen de vivre dans un palais, comme de grands seigneurs, ou de s’habiller comme les gens comme il faut doivent s’habiller ou comme tout le monde (c’est-à-dire comme très peu de gens) ; notre appartement ressemble souvent à une porcherie et l’habit atteint au cynisme inconvenant. Si un homme n’est pas satisfait, s’il n’a pas la possibilité de montrer ce qu’il y a de meilleur en lui, alors, aussitôt, il tombe en un état incroyable : tantôt il devient ivrogne, tantôt joueur effréné aux cartes et aigrefin ; ou enfin il devient fou d’ambition et en souffre affreusement. Ainsi, peu à peu, on arrive à la conclusion injuste, presque offensante, mais qui paraît bien vraisemblable, que chez nous la conscience de notre propre dignité fait défaut, que nous avons très peu de l’égoïsme nécessaire, et enfin que nous ne sommes pas habitués à faire quelque chose de bien sans récompense. Par exemple, donnez à un Allemand exact, agissant avec système, une affaire tout à fait contraire à ses aspirations et à ses goûts,