Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/264

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chez les individus en quête d’activité, mais faibles, efféminés, tendres, naît peu à peu ce qu’on appelle la « rêverie ». L’homme cesse d’être un homme et devient un être étrange, du genre neutre, un rêveur. Et savez-vous ce que c’est qu’un rêveur ? C’est le cauchemar de la vie de Pétersbourg ; c’est le péché personnifié ; c’est une tragédie sans paroles, mystérieuse, sauvage, avec toutes ses horreurs, toutes ses catastrophes et ses péripéties, avec son préambule et son dénouement. Et, disons-le, ce n’est pas du tout une plaisanterie. Parfois, vous rencontrez un homme distrait, le regard vague et vitreux, souvent le visage pâle, défait, toujours l’air préoccupé de quelque chose de très pénible, d’une affaire très compliquée ; parfois comme tourmenté, harassé par des travaux difficiles et qui, en réalité, ne produit absolument rien. Tel est le rêveur, extérieurement. Le rêveur est toujours fatigant parce qu’il est inégal à l’extrême : tantôt trop gai, tantôt trop morne, tantôt grossier, tantôt attentif et tendre, tantôt égoïste, tantôt capable des sentiments les plus nobles. Dans le service, ces messieurs ne valent rien, et bien qu’ayant un emploi ils ne sont capables de rien et traînent seulement leur besogne ce qui, en réalité, est pire que ne rien faire. Ils ressentent un dégoût profond pour toutes les formalités et, malgré cela, on peut dire que, parce qu’ils sont toujours doux, dociles, parce qu’ils ont peur qu’on les touche, ils sont eux-mêmes les premiers formalistes. Mais, chez eux, ils sont tout autres. La plupart s’installent dans un profond isolement, dans un coin inaccessible, comme pour se cacher des hommes et du monde, et, en général, au premier regard sur eux, on remarque quelque chose de mélodramatique. Avec leurs familiers,