Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ils sont sombres et taciturnes ; ils restent plongés en eux-mêmes, ils aiment beaucoup tout ce qui est facile, contemplatif, tout ce qui agit tendrement sur les sentiments ou chatouille les sens. Ils aiment lire et lire n’importe quoi, même les livres sérieux, spéciaux ; mais généralement, à la deuxième ou à la troisième page, ils abandonnent leur lecture dont ils ont assez. Leur fantaisie mobile, volage, facile est déjà excitée ; l’impression est créée, et le monde entier – avec les joies et les douleurs, l’enfer et le paradis, les femmes séduisantes, les actes héroïques, l’activité noble, et quelque lutte gigantesque, et des crimes et des horreurs de toutes sortes – saisit tout d’un coup l’existence entière du rêveur. La chambre disparaît ; l’espace aussi ; le temps s’arrête ou vole si rapidement qu’une heure compte pour une minute. Parfois des nuits entières passent en des plaisirs indescriptibles. Souvent, en quelques heures, notre rêveur vit le paradis de l’amour ou une vie entière, formidable, énorme, inouïe, merveilleuse, grandiose et belle. Le pouls bat plus fort, les larmes jaillissent, les joues pâles s’empourprent de fièvre et quand, dans la fenêtre du rêveur, l’aurore paraît avec sa lumière rose, il est pâle, malade et heureux. Presque sans conscience, il se jette sur son lit et, en s’endormant, il sent dans le cœur, encore pendant longtemps, une sensation physique maladive et agréable. Les moments où il a conscience sont terribles. Le malheureux ne les supporte pas et, tout de suite, il prend son poison dont il augmente la dose. De nouveau un livre, un motif musical, un ancien souvenir, quelque chose de la vie réelle, en un mot, une des mille causes les plus infimes, et le poison est prêt, et la fantaisie travaille de nouveau sur le canevas