Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/121

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sçauroit donc causer en nous la terreur où cette crainte ennemie de la présomption et qui nous fait nous défier de nous-mêmes. La peine dûë aux grands crimes ne nous paroît pas à craindre pour nous. Nous sommes suffisamment rassurez contre la crainte de commettre jamais de semblables forfaits, par l’horreur qu’ils nous inspirent. Nous pouvons craindre des fatalitez du même genre que celles qui arrivent à Pyrrhus dans l’Andromaque de Racine, mais non de commettre des crimes aussi noirs que le sont ceux de Narcisse dans Britannicus. Un scelerat qui subit sa destinée ordinaire dans un poëme, n’excite pas aussi notre compassion ; son supplice, si nous le voïions réellement, exciteroit bien en nous une compassion machinale : mais comme l’émotion que les imitations produisent n’est pas aussi tyrannique que celle que l’objet même exciteroit, l’idée des crimes qu’un personnage de tragedie a commis nous empêche de sentir pour lui une pareille compassion. Il ne lui arrive rien dans la catastrophe que nous ne lui aïons souhaité plusieurs fois durant le cours de la piece, et nous applaudissons alors au ciel qui justifie enfin sa lenteur à punir.