Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/144

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que durant le cours de la piece, quoiqu’il soit contre la vrai-semblance qu’une passion naissante puisse devenir en un jour une passion extrême. Quand on veut faire joüer un rolle important à l’amour, il faut du moins qu’il soit né depuis un tems, qu’il ait eu le loisir de s’enraciner dans un cœur, et même qu’il ait eu de l’esperance. Mais il est vrai que les bons poëtes françois ne nous amusent point avec ces passions subites. Voilà ce qui rend les galands des tragedies françoises si differens des hommes veritablement amoureux. On croiroit que l’amour fut une passion gaie à oüir les gentillesses que ces galands disent aux personnes qu’ils aiment ; ils ornent leurs discours enjouez de ces traits ingenieux, de ces métaphores brillantes, enfin de toutes les expressions fleuries qui ne sçauroient naître que dans une imagination libre. On les entend sans cesse s’applaudir des fers qu’ils portent, et ils souhaitent que leurs chaînes soïent éternelles, nouvelle preuve qu’ils n’en sentent point le poids. Loin de regarder leur amour comme une foiblesse des plus humiliantes, ils le contemplent comme une vertu glorieuse