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Reflexions critiques

sir d’y satisfaire est sensible. Dans les festins les plus delicieux, où l’on n’apporte qu’un appetit ordinaire, on ne sent pas un plaisir aussi vif que celui qu’on ressent en appaisant une faim veritable avec un repas grossier. L’art supplée mal à la nature, & tous les rafinemens ne sçauroient apprêter, pour ainsi dire, le plaisir aussi bien que le besoin.

L’ame a ses besoins comme le corps, & l’un des plus grands besoins de l’homme est celui d’avoir l’esprit occupé. L’ennui qui suit bientôt l’inaction de l’ame, est un mal si douloureux pour l’homme, qu’il entreprend souvent les travaux les plus penibles afin de s’épargner la peine d’en être tourmenté. Il est facile de concevoir comment les travaux du corps, même ceux qui semblent demander le moins d’application, ne laissent pas d’occuper l’ame.

Hors de ces occasions elle ne sçauroit être occupée qu’en deux manieres. Ou l’ame se livre aux impressions que les objets exterieurs font sur elle ; & c’est ce qu’on appelle sentir : ou bien elle s’entretient elle-même par des speculations sur des matieres, soit utiles, soit curieuses ; & c’est ce qu’on appel-