Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/219

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dans l’imagination des peintres ce feu qui merite qu’on les traite quelquefois d’ouvriers divins, pour les reduire aux fonctions d’un annaliste scrupuleux ? Je réponds que l’enthousiasme qui fait les peintres et les poëtes ne consiste pas dans l’invention des mysteres allegoriques, mais bien dans le talent d’enrichir ses compositions par tous les ornemens que la vrai-semblance du sujet peut permettre, ainsi qu’à donner de la vie à tous ses personnages par l’expression des passions. Telle est la poësie de Raphael ; telle est la poësie du Poussin et de Le Sueur, et telle fut souvent celle de Monsieur Le Brun et de Rubens. Il n’est pas necessaire d’inventer son sujet ni de créer ses personnages, pour être reputé un poëte plein de verve. On merite le nom de poëte en rendant l’action qu’on traite capable d’émouvoir, ce qui se fait en imaginant quels sentimens conviennent à des personnages supposez dans une certaine situation, et en tirant de son genie les traits les plus propres à bien exprimer ces sentimens. Voilà ce qui distingue le poëte d’un historien qui ne doit point orner ses recits de circonstances tirées de son imagination, qui n’invente pas des situations

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