Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/39

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réellement les soldats effrenez égorger les enfans dans le sein des meres sanglantes. Le tableau de Le Brun où nous voïons l’imitation de cet évenement tragique, nous émeut et nous attendrit, mais il ne laisse point dans notre esprit aucune idée importune : ce tableau excite notre compassion, sans nous affliger réellement. Une mort telle que la mort de Phédre : une jeune princesse expirante avec des convulsions affreuses, en s’accusant elle-même des crimes atroces dont elle s’est punie par le poison, seroit un objet à fuir. Nous serions plusieurs jours avant que de pouvoir nous distraire des idées noires et funestes qu’un pareil spectacle ne manqueroit pas d’empreindre dans notre imagination. La tragedie de Racine qui nous présente l’imitation de cet évenement, nous émeut et nous touche sans laisser en nous la semence d’une tristesse durable. Nous joüissons de notre émotion sans être allarmez par la crainte qu’elle dure trop long-tems. C’est, sans nous attrister réellement, que la piece de Racine fait couler des larmes de nos yeux : l’affliction n’est, pour ainsi dire, que sur la superficie de notre cœur, et nous sentons bien que nos pleurs