Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/419

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vers qu’il entend, que l’autre par ceux qu’il lit. N’est-ce pas reconnoître que le plaisir d’entendre la récitation en impose à notre jugement, que de remettre à prononcer sur le mérite d’un poëme qui nous a plû, en l’entendant réciter, jusques à la lecture que nous en voulons faire, comme on dit, l’œil sur le papier ? Il faut, disons-nous, ne point compromettre son jugement, et souvent la récitation en impose. L’experience que nous avons de nos propres sens, nous enseigne donc que l’œil est un censeur plus sévere, qu’il est pour un poëme un scrutateur bien plus subtil que l’oreille, parce que l’œil n’est pas exposé dans cette occasion à se laisser séduire par son plaisir comme l’oreille. Plus un ouvrage plaît, moins on est en état de reconnoître et de compter ses défauts. Or l’ouvrage qu’on entend réciter, plaît plus que l’ouvrage qu’on lit dans son cabinet. Aussi voïons-nous que tous les poëtes, ou par instinct ou par connoissance de leurs interêts, aiment mieux réciter leurs vers que de les donner à lire, même aux premiers confidens de leurs productions. Ils ont raison s’ils cherchent des loüanges plûtôt que des conseils utiles.