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Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Tome 2,1733.djvu/334

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plus un poëte, qui tient toujours une grande place dans son imagination, et qui lui-même est encore souvent un homme de ce caractere d’esprit violent, pour lequel il n’est point de personnes indifferentes, se figure qu’une grande ville, qu’un roïaume entier n’est peuplé que d’envieux ou d’adorateurs de son mérite. Il s’imagine le partager en deux factions aussi animées l’une contre lui et l’autre pour lui, que les guelfes et les gibelins l’étoient contre les empereurs et pour les empereurs, lorsque réellement il n’y a pas cinquante personnes qui aïent pris parti pour ou contre lui, et qui s’interessent avec affection à la fortune de ses vers. La plûpart de ceux en qui il suppose des sentimens de haine ou d’amitié très-décidez sont dans l’indifference, et disposez à juger de l’auteur par sa comédie, et non de la comédie par son auteur. Ils sont prêts à dire leur sentiment avec autant de franchise, que les amis commençaux d’une maison disent le leur sur un cuisinier que le maître essaïe. Ce n’est pas le moins équitable des jugemens de notre païs.