Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Tome 2,1733.djvu/378

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

est en état de juger sainement des poëmes et des tableaux ! Quel paradoxe ! L’exposition que je vais faire de ma proposition, jointe à ce que j’ai déja dit, me justifieront pleinement contre une objection si propre à prévenir le monde au désavantage de mon sentiment. Il est quelques artisans beaucoup plus capables que le commun des hommes de porter un bon jugement sur les ouvrages de leur art. Ce sont les artisans nez avec le génie de cet art, toujours accompagné d’un sentiment bien plus exquis que n’est celui du commun des hommes. Mais un petit nombre d’artisans est né avec du génie, et par consequent avec cette sensibilité ou cette délicatesse d’organes supérieure à celle que peuvent avoir les autres, et je soutiens que les artisans sans génie jugent moins sainement que le commun des hommes, et si l’on veut que les ignorans. Voici mes raisons. La sensibilité vient à s’user dans un artisan sans génie, et ce qu’il apprend dans la pratique de son art, ne sert le plus souvent qu’à dépraver son goût naturel et à lui faire prendre à gauche dans ses décisions. Son sentiment a été émoussé par l’obligation de s’occuper de vers et de