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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

livrât passage, un changement de place s’y ferait-il instantanément ou en un certain temps ?… Lors même que le vide céderait, il y a là la dimension de l’espace qui ferait un avant et un après, en sorte que le vide ne céderait pas subitement, qu’il ne serait pas totalement traversé en un instant, mais peu à peu et en un certain temps. »

En cette théorie, à laquelle Bacon revient plusieurs fois avec faveur, nous ne trouvons rien de la pensée féconde de Saint Thomas d’Aquin, de la première aperception de la notion de masse ; ce qui empêcherait un mouvement, au gré de Bacon, de se produire instantanément dans le vide, c’est simplement la divisibilité géométrique dont le moteur et le mobile sont également affectés. Dans ses réfutations, Gilles de Rome a mêlé cette théorie avec celle du Doctor commuais ; ce n’était pas, assurément, le moyen de publier et d’éclaircir cette dernière.

Il arrivait, d’ailleurs, qu’on empruntait en partie, mais en partie seulement, les raisons de Thomas d’Aquin pour justifier la théorie de Roger Bacon. D’une telle synthèse, nous ne saurions citer d’exemple contemporain des deux maîtres qui en ont fourni les éléments ; mais au milieu du xive siècle, l’enseignement donné à l’Université de Padoue par le dominicain Graziadei d’Ascoli nous présentera cette union des deux doctrines.

Le soin pris par Graziadei de suivre exactement, dans Bes Leçons de Physique, l’ordre que Thomas d’Aquin avait imposé aux siennes, montre assez quelle admiration le professeur de Padoue avait conçue pour son illustre frère en Saint Dominique ; d’autre part, ce chapitre et les suivants nous diront à quel point les enseignements de Roger Bacon, particulièrement ceux qui concernent le vide et la pesanteur, avaient eu d’influence sur la raison du philosophe d’Ascoli.

Graziadei s’est occupé à deux reprises de la possibilité du mouvement dans le vide. Une des questions disputées par lui à l’Université de Padoue a pour titre[1] : « L’existence du vide étant supposée, le mouvement s’y pourrait-il accomplir ? Supposé qu’un grave tombât dans le vide, y tomberait-il instantanément ? » Plus tard, en rédigeant ses Leçons de Physique,

1. Questiones fratris gratiadei de escudo excellentlssimi sacre pagine doctorls predicatorum ordinis per ipsum in florentissimo studio patavino disputate féliciter. Quæst. XI ; éd. Venetiis, 1503, fol. 119, col. d, fol. 120, et fol. 121, ooll. a et b.

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