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On écoutait, on frémissait, on aspirait les premières paroles qui devaient sortir de la bouche royale.

— Madame, dit Louis XVI, au milieu de tous ces événements on a oublié de me servir mon souper chez moi ; faites-moi le plaisir de me donner à souper ici. — Ici ! s’écria la reine stupéfaite. — Si vous le voulez bien ? — Mais… sire… — Vous causiez, c’est vrai. Eh bien ! mais en soupant je causerai.

Ce simple mot souper avait glacé tous les enthousiasmes. Mais, à ces dernières paroles : en soupant nous causerons, la jeune reine elle-même ne put croire que tant de calme ne cachât pas un peu d’héroïsme.

Le roi voulait sans doute, par sa tranquillité, imposer à toutes les terreurs de la circonstance.

Oh ! oui, la fille de Marie-Thérèse ne pouvait croire, dans un pareil moment, que le fils de saint Louis demeurât soumis aux besoins matériels de la vie ordinaire.

Marie-Antoinette se trompait. Le roi avait faim, voilà tout.


XXVI

COMMENT LE ROI SOUPA LE 14 JUILLET 1789


Sur un mot de Marie-Antoinette, le roi fut servi sur une petite table, dans le cabinet même de la reine.

Mais il arriva alors tout le contraire de ce qu’espérait la princesse. Louis XVI fit faire silence, mais ce fut seulement pour n’être point distrait de son souper.

Tandis que Marie-Antoinette s’efforçait de réchauffer l’enthousiasme, le roi dévorait.

Les officiers ne trouvèrent point cette séance gastronomique digne d’un descendant de saint Louis, et formèrent des groupes dont les intentions n’étaient peut-être pas aussi respectueuses que les circonstances le commandaient.

La reine rougit, son impatience se décelait dans tous ses mouvements. Cette nature fine, aristocratique, nerveuse, ne pouvait comprendre cette domination de la matière sur l’esprit. Elle se rapprocha du roi pour ramener à la table ceux qui s’en éloignaient.

— Sire, dit-elle, n’avez-vous pas des ordres à donner ? — Ah ! ah !