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III

Ruches et guêpiers.


Maître Jean Vingerhout engagea, sur-le-champ, le jeune homme recommandé par son ami Vincent Tilbak. Jan était un joyeux vivant, rablu, solide, cadet de notables fermiers des Polders, les alluvions de l’Escaut, qui, fatigué de cultiver à perte, avait acheté, avec le produit de son héritage, une part d’actionnaire dans une « Nation ».

Les Nations, corporations ouvrières rappelant les anciennes gildes flamandes, se partagent l’entreprise du chargement, du déchargement, de l’arrimage, du camionnage et de l’emmagasinement des marchandises ; elles forment dans la cité moderne une puissance avec laquelle doit compter le clan des forts commerçants de la place, car, coalisées, elles disposent d’une armée de compagnons peu formalistes capables d’entraîner une stagnation complète du trafic et de tenir en échec le pouvoir du magistrat. Là, du moins on sauvegarderait les droits des enfants du terroir ; jamais l’immigré ne supplanterait l’aborigène de la contrée anversoise comme baes, c’est-à-dire maître, ou même comme simple compagnon.

L’ « Amérique », la plus ancienne et la plus riche de ces nations, au service de laquelle venait d’entrer Laurent, écrémait la main-d’œuvre, disposait des plus beaux chevaux, possédait des installations modèles et un outillage perfectionné. Chariots, harnais, grues, bâches, cordeaux, bannes, poulies et balances n’avaient point leurs pareils chez les corporations rivales. Depuis Hoboken jusqu’à Austruweel et à Merxem on ne rencontrait que ses diligentes équipes. Ses peseurs et ses