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LA NOUVELLE CARTHAGE

geois et ouvriers, confondus, bras dessus bras dessous, entonnaient à l’unisson à pleins poumons, le chant dithyrambique.

Infatigable, Laurent parcourut tout l’itinéraire prescrit au cortège.

L’escorte ondoyante avait beau se renouveler, se relayer à chaque carrefour, l’exalté ne parvenait pas à la quitter. Cette musique de Vyvéloy l’eût conduit au bout du monde. Des enthousiastes moins bouillants, se lassaient de cette course et s’éclipsaient par les rues latérales, mais lui n’aurait eu garde de faire défection. D’ailleurs, d’autres manifestants prenaient la file et la composition du cortège variait de quartier en quartier. Le long de la rade et des bassins, Laurent sentit le coude à des matelots et à des débardeurs ; au cœur de la cité, il se mêla aux garçons de magasin et aux filles de boutique ; sur les boulevards fashionables il se retrouva avec des fils de famille et des commis de « firmes » souveraines ; enfin, dans les dédales du quartier Saint-André, habitacles des claquedents et des vu-nu-pieds, des gaillardes en cheveux lui prirent familièrement le bras et des gavroches le firent entrer dans leur farandole. Tout à Anvers, tout à Rubens, Laurent n’entendait que la cantate, il en était rempli et saturé. Il reconduisit les musiques jusqu’à l’étape finale ; triste et presque déçu lorsque les canonniers étant descendus de cheval, soufflèrent les lanternes vénitiennes accrochées à leurs lances de bois et étouffèrent sous leurs bottes les dernières torches de résine.