Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

V

L’Election.


— Ah ! ville superbe, ville riche, mais ville égoïste, ville de loups si âpres à la curée qu’ils se dévorent entre eux lorsqu’il n’y a plus de moutons à tondre jusqu’aux os. Ville selon le cœur de la loi de Darwin, Ville, féconde mais marâtre. Avec ta corruption hypocrite, ton tape-à-l’œil, ta licence, ton opulence, tes instincts cupides, ta haine du pauvre, ta peur des mercenaires ; tu m’évoques Carthage… N’avez-vous pas été frappés, vous autres, du préjugé qu’ils entretiennent, ici, contre le soldat ? Même les Anversois qui ont de leurs garçons à l’armée, sont impitoyables et féroces à l’égard des troupiers. Nulle part en Belgique on n’entend parler de ces terribles bagarres entre militaires et bourgeois ; de ces guets-apens où des assommeurs tombent dessus au permissionnaire ivre, regagnant la caserne faubourienne ou le fort perdu à l’extrémité de la banlieue…

Qui avons-nous à la tête d’Anvers ? Des magistrats vaniteux, sots, gonflés comme des suffètes. Leur dernier trait, Bergmans, le connais-tu, leur dernier trait ?

Un jour, n’ayant plus rien à démolir et à rebâtir, chose qui a toujours ennuyé des magistrats communaux, ils décrètent de supprimer la Tour Bleue, un des derniers spécimens, en Europe, de l’architecture militaire du quatorzième siècle. Tout ce que la ville compte encore d’artistes et de connaisseurs ici s’émeut, proteste, envoie à la « Régence », des pétitions… Devant cette opposition, que font nos augures ? Ils daignent consulter l’expert par excellence, Viollet-Le-Duc. Cet archéologue