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LA NOUVELLE CARTHAGE

conclut avec tous les artistes en faveur du maintien de la vieille tour. Voyez-vous cet original qui se permet d’être d’un autre avis que ces marchands omnisapients ! Aussi n’ont-ils rien de plus pressé que de raser, sans autre forme de procès, la vénérable relique !…

Et pourtant, ville sublime ! Tu as raison, Rombaut, de vanter son charme indéfinissable, qui clôt la bouche à ses détracteurs. Nous ne pouvons lui en vouloir de s’être donnée à cette engeance de ploutocrates. Nous l’aimons comme une femme lascive et très bête, comme une courtisane bestiale et adorable. Et ses parias même ne consentent pas à la maudire !

C’était, au cabaret de la Croix Blanche, Laurent Paridael qui déblatérait ainsi devant Bergmans, Rombaut et Marbol.

— Bon, voilà le jeune natiegast qui prend le mors aux dents ! dit Vyvéloy. Et tout cela parce qu’il a trouvé que dans ma cantate je faisais trop large la part du chauvinisme, aux dépens des communiers de Bruges et de Gand…

— Anvers se relèvera moralement ! intervint Bergmans. Elle secouera le joug qui la dégrade. Elle sera rendue à ses vrais enfants. Tu le verras, Paridael, l’insubordination gagne les masses opprimées. Je te promets du neuf pour bientôt. Un souffle d’émancipation et de jeunesse a traversé la foule ; il y a plus ici qu’une belle et superbe ville ; il y a un peuple non moins intéressant qui commence à regimber contre des mandataires qui le desservent et le compromettent.

La prédiction de Bergmans ne tarda pas à se réaliser. Depuis longtemps il y avait de l’électricité dans l’air.

La véhémente cantate de Vyvéloy ne contribua pas dans une faible mesure à ce réveil de la population.

Les riches, en prenant l’initiative d’un jubilé de Rubens, ne s’attendaient pas à provoquer cette fermentation.

Il arriva que les peintres de la Renaissance évoquèrent les pasteurs d’hommes de ce xvie siècle, les Guillaume le Taciturne, les Marnix de Sainte-Aldegonde. On exhuma pour s’en parer ce quolibet insultant jeté aux patriotes de l’époque de Charles-Quint et de Philippe II, ce nom de gueux dont les vaillants ancêtres aussi s’étaient taillé un titre honorifique.

La noblesse, momifiée, désintéressée de tout, et de plus ultramontaine, se réjouit peut-être des désagréments que le courant nouveau préparait aux parvenus, mais n’osa patronner un parti placé sous le vocable et le drapeau des adversaires victorieux de la catholique Espagne.

L’effervescence, la réaction, se manifestaient surtout dans le peuple des travailleurs du Port.

Des conflits isolés avaient déjà éclaté entre Béjard et les na-