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LA NOUVELLE CARTHAGE

guenard, pipe aux dents, radieux comme s’il s’agissait d’aller à la danse. Jan Vingerhout circule de groupe en groupe pour donner la consigne à ses hommes. Quoiqu’il n’ait pas besoin de secrétaire pour la besogne de ce soir, il s’est fait accompagner du jeune Paridael enchanté de la petite explosion qui menace l’odieux Béjard.

— Nous allons rire, kerel ! fait Jan en se frottant les mains, de manière à faire craquer les os de ses phalanges.

Siska a retenu, non sans peine, son homme à la maison.

Quelques voyous de mine louche, du genre des jeunes corsaires du Doel, s’approchent aussi des solides compagnons, mais Jan n’entend pas s’embarrasser d’alliés compromettants. Il les écarte d’une chiquenaude. Les braves gens suffisent à la besogne.

Les policiers ont essayé de les disperser, mais ils n’insistent pas devant la façon très personnelle et très expressive dans son calme dont les accueillent les mutins.

Une rue assez longue, le Canal au Sucre, sépare la Grand’Place de l’Escaut, mais deux cents mètres ne représentent pas une distance pour ces gaillards, et les argousins, de futés gringalets, ne seraient pas lourds à porter jusqu’à l’eau.

Que vont-ils faire ? se demandent les policiers, alarmés par ce calme, par l’air résolu et vaguement ironique de ces bons bouleux. Les musards du coin des paresseux ne sont pas plus offensifs, en attendant le baes qui les abreuve. À ceux qui les interrogent, les travailleurs répondent par un vade retro aussi bref qu’énergique, intraduisible dans un autre idiome que ce terrible flamand, et auquel la façon de le faire sonner ajoute une éloquente saveur.

Les croisées de l’aile gauche, au deuxième étage de l’antique Hôtel de Ville, sont illuminées. Il parait qu’on délibère encore. Le vote est imminent ; tous ces gens s’entendent comme marchands en foire.

Neuf heures sonnent. Au dernier coup, voilà que, sur un coup de sifflet de Vingerhout, simultanément les compagnons se penchent, et flegmatiquement, se mettent en devoir de déchausser les pavés, devant eux. Ils vont même vite en besogne ; si vite que les alguazils s’essoufflent inutilement à vouloir les en empêcher.

Et alors, Jan Vingerhout, pour montrer comment s’emmanche la partie, envoie adroitement un pavé dans une des fenêtres du Conseil. D’autres bras s’élèvent, chaque bras tient son pavé avec la fermeté d’une catapulte. Mais à un signe de Vingerhout, les hommes remettent leur charge par terre :

— Tout doux, il suffira peut-être d’un simple avertissement.