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LA NOUVELLE CARTHAGE

— La garde civique à cheval ! Sauve qui peut !

Pillards et destructeurs interrompent leur besogne.

Le demi-escadron approche au galop. Arrivé à une centaine de mètres de la cohue, le capitaine, M. Van Frans, le banquier, ami de la famille Dobouziez, commande halte.

Tous riches et fils de riches, cavaliers de parade, montés sur des bêtes de race, fiers de leur bel uniforme vert sombre, de leur tunique à boutons d’argent et à brandebourgs noirs, de leur pantalon à bande amarante, de leur talpak d’astrakan à chausse rouge et à gland d’argent. Leurs montures ont des chabraques assorties à l’uniforme, aux coins desquelles sont brodés des clairons d’argent, et le manteau d’ordonnance enroulé sur le devant de la selle.

Pâles, l’air ému, les yeux brillants, ils font caracoler et piaffer leurs chevaux. Comme ils se sont arrêtés, les mutins s’enhardissent et leur lancent des moqueries : soldats de carton ! polichinelles ! cavaliers des dimanches ! Laurent reconnaît Athanase et Gaston Saint-Fardier, et entend le premier, qui pousse son cheval en avant, dire à Van Frans : « Chargerons-nous bientôt ces voyous, commandant ? » En passant avenue des Arts, les deux frères ont aperçu les dégâts causés à la maison paternelle, et ils brûlent d’impatience de venger cet affront.

Jusqu’à présent, le service de cet escadron d’honneur avait été une récréation, un simple sport, un prétexte à promenades et à excursions, à parties de campagne. Ce n’était pas de leur faute, à ces jolis dilettanti de l’uniforme, si cette gueusaille les obligeait de se prendre au tragique.

— Sabre… clair !… commande Van Frans d’une voix un peu émue. Et les lames vierges, tirées du fourreau avec un bruissement métallique, mettent une flamme livide au poing ganté de chaque cavalier.

Il n’en faut pas plus pour que la panique gagne la bande des émeutiers. La masse fonce en avant et se jette, à droite et à gauche, dans les rues latérales. Les plus hardis courent se garer sur le trottoir d’en face ou entre les arbres de l’avenue.

— Chargez ! commande alors seulement Van Frans… En avant !

Et l’escadron part au grandissime galop : étriers et fourreaux s’entrechoquent, le pavé s’incendie comme une enclume.

Après avoir dépassé les rassemblements et feint de donner la chasse aux fuyards, les cavaliers font halte, demi-tour et chargent une seconde fois dans la direction opposée.

La police achevait de disperser les derniers rassemblements et, en nombre à présent, opérait des arrestations, pinçait les meneurs.