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LA NOUVELLE CARTHAGE

Installés l’un en face de l’autre devant le bureau, Béjard ouvre un tiroir, furète dans un casier, tend à Dobouziez une liasse de papiers.

— Veuillez prendre connaissance de ces lettres !

Il se renverse dans son fauteuil, ses doigts tambourinent les coussinets de cuir, tandis que ses yeux suivent sur la physionomie de Dobouziez les impressions de la lecture. Le visage de l’industriel se décompose ; il pâlit, sa bouche se plisse convulsivement, tout à coup il s’interrompt.

— Me direz-vous ce que cela signifie ? fait-il en regardant son gendre avec plus d’angoisse que de courroux.

— Tout simplement que je suis ruiné et qu’on proclamera ma faillite avant un mois, avant quinze jours peut-être, à moins que vous ne veniez à mon aide…

— À votre aide ! Et Dobouziez se cabre. « Mais malheureux je me suis déjà enfoncé, pour vous, dans des difficultés dont je ne sais comment sortir !… Et en ce moment même le désastre qui vous frappe m’englobe… Vous êtes fou, ou bien impudent, de compter encore sur moi ! »

— Il faudra pourtant que vous vous exécutiez, Monsieur… Où bien préfèreriez-vous passer pour le beau-père d’un homme insolvable, d’un failli ?… Mais vous n’avez pas fini de lire ces lettres… Je vous en prie, continuez… Vous verrez que la chose mérite tout au moins réflexion… Avouez que ce n’est pas de ma faute. La débâcle de Smithson et C°, à New-York, une banque si solide ! Qui pouvait prévoir cela ?… Ces mines de cuivre, de Sgreveness, dont les actions viennent de tomber à vingt, au-dessous du pair, ce n’est pas moi pourtant qui vous les ai vantées ? Soyez de bonne foi et rappelez-vous votre confiance en ce petit ingénieur, votre camarade du génie, qui vint vous proposer l’affaire…

— Taisez-vous, interrompt Dobouziez… Ah, taisez-vous ! Ces spéculations effrénées sur les cafés, qui ont englouti, en moins de quatre jours, la totalité de la dot de votre femme ! Dites, est-ce moi aussi qui vous les ai conseillées ? Et ce jeu sur les fonds publics, auquel vous employez votre Dupoissy ? Croyez-vous les gens qui fréquentent la Bourse assez bêtes pour supposer un seul instant que les cent mille et les deux cent mille francs de différence payés par ce mérinos, qui n’a jamais possédé de laine pour son compte, que celle que porte sa tête cafarde, soient sortis de ses propres coffres ? Et pour comble voilà que ce pied-plat qui lèche l’empreinte de vos talons est tout doucement en train de vous lâcher. Il faudrait entendre comme il vous traite en votre absence ! Vous dégoûtez jusqu’à ce paltoquet. En Bourse il ne se gêne pas pour