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LA NOUVELLE CARTHAGE

Monsieur Daelmans »… C’est que son écusson de marchand n’a jamais été entaché. Recommandez-vous de cette connaissance et pas une porte ne vous sera fermée dans la grande ville d’affaires, depuis la Tête de Grue jusqu’à Austruweel.

Dans les cas litigieux, c’est lui que les parties consultent de préférence avant de se rendre chez l’avocat. Combien de fois son arbitrage n’a-t-il pas détourné des procès ruineux et son intermédiaire, sa garantie, des faillites désastreuses. — Vous vous informez de sa femme ?… Elle se porte très bien, grâce à Dieu, Mme Daelmans… Je vous conduirai auprès d’elle… Vous déjeunerez avec nous, n’est-ce pas ?… En attendant, nous prendrons un verre de Sherry.

Il vous met sa large main sur l’épaule en signe de possession ; vous êtes son homme, quoique vous fassiez. On ne refuse pas, d’ailleurs, une si cordiale invitation. Il pourrait vous conduire directement du bureau dans la maison par la petite porte dérobée, mais il a encore quelques ordres à donner à MM. Bietermans et Lynen. — Une lettre de notre correspondant de Londres ? dit Bietermans en se levant. — Ah ! de Mordaunt-Hackey… Très bien !… Très bien !… L’affaire des sucres, sans doute… Écrivez-lui, je vous prie, que nous maintenons nos conditions… Messieurs, je vous salue… Qui fait la Bourse aujourd’hui ? Vous, Torfs ? N’oubliez pas alors de voir M. Barwoets… Excusez-moi, mon ami… Là, je suis à vous…

Ô l’aimable homme que Daelmans-Deynze !

Ces ordres étaient donnés sur un ton paternel qui lui faisait des auxiliaires fanatiques de son peuple d’employés. Une remarque à faire, et ce n’était pas là une des moindres causes de la popularité de Daelmans à Anvers, c’est que la firme n’occupait que des commis et des ouvriers flamands et surtout anversois, alors que la plupart des grosses maisons accordaient, au contraire, la préférence aux Allemands.

Le digne sinjoor ne voulait même pas accepter les étrangers comme volontaires. Il ne reculait pas devant une augmentation de frais pour donner du pain aux « gars d’Anvers » aux jongens van Antwerpen, comme il disait, heureux d’en être, de ces gars d’Anvers.

Les autres négociants trouvaient originale cette façon d’agir. Le banquier rhénan Fuchskopf haussait les épaules et disait à ses compatriotes résidant à Anvers : « Ce ger Taelman vé té la boézie ! », mais le digne Flamand « faisait bien et laissait dire », et les bonnes gens d’Anvers parlaient avec attendrissement du patriotisme du millionnaire du Marché-aux-Chevaux, et ils faisaient miroiter aux yeux de leurs moutards studieux cette perspective : « Toi, tu entreras un jour chez Daelmans-Deynze. »