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LA NOUVELLE CARTHAGE

Il vous a entraîné au fond de la cour dans la maison dont la façade antique est tapissée d’un lierre pour le moins contemporain de la bâtisse. À gauche, en face du bureau, sont les écuries et la remise. On gravit quatre marches, ménageant une marquise devant la grande porte.

— Joséphine ! voici un ressuscité…

Et une bonne tape dans le dos, de la main de votre hôte, vous met en présence de Mme Daelmans.

Celle-ci, qui travaillait à un ouvrage au crochet, jette une exclamation de surprise et s’extasie sur l’heureuse inspiration à laquelle on doit votre visite.

Si le mari a bonne mine et l’abord sympathique, que dire de sa « dame » ? Le type par excellence de la ménagère anversoise, soigneuse, proprette et diligente.

Elle a quarante ans, Mme Daelmans. Des bandeaux bien lisses de cheveux noirs encadrent un visage réjoui, où brillent deux yeux bruns affectueux et où sourient des lèvres maternelles. Les joues sont fournies et colorées comme la chair d’une pomme mûrissante.

Elle est petite, la bonne dame, et se plaint de devenir trop épaisse. Cependant, ce n’est pas la paresse qui est cause de cette corpulence. Levée dès l’aube, elle est toujours sur pied, active et remuante comme une fourmi. Elle préside à toutes les opérations du ménage, avoue-t-elle, mais ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’elle met elle-même la main à toutes les besognes. Rien ne marche assez vite à son gré. Elle en remontre à sa cuisinière dans l’art de bouillir le pot au feu, et au domestique dans celui d’épousseter les meubles. Elle court de l’étage au rez-de-chaussée. À peine a-t-elle l’envie de s’asseoir et mis la main sur le journal ou le tricot entamé, que lui vient une inquiétude sur le sort du ragoût qui mijote dans la casserole, ou de la provision de poires du cellier : Lise aura fait trop grand feu et Pier négligé de retourner les fruits qui commençaient à se piquer d’un côté. Avec cela pas d’humeur ; la bonne dame est vigilante sans être tatillonne. Elle fera largement l’aumône aux pauvres de la paroisse, mais ne tolérera pas qu’on perde un morceau de pain, petit comme le doigt.

Aussi comme elle est tenue, la vieille maison de Daelmans-Deynze ! Dans la grande chambre où l’on vous a introduit, vous ne serez pas frappé par un luxe de la dernière heure, un mobilier flambant neuf, des peintures auxquelles un décorateur à la mode vient de donner un coup de pinceau hâtif. Non, c’est l’intérieur cossu et simple dont vous avez rêvé en voyant les maîtres. Ces meubles ne sont pas les compagnons d’un jour achetés par un caprice et remplacés par une lubie, ce