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IV

Contumace.


Laurent commença par se loger au fin fond de Borgerhout près d’une coupure de chemin de fer, non loin d’une voie d’évitement sur laquelle ne roulaient que des convois de marchandises. C’était un coin de la suggestive région observée, autrefois, de la mansarde chez les Dobouziez. L’agglomération citadine y dégénérait en une banlieue équivoque, clairsemée de maisons comme si leurs ténements s’étaient mis à la débandade ; cabarets à tous usages, fourrières, chantiers de marbriers, de figuristes et d’équarrisseurs. De la suie aux murs, de l’herbe entre les pavés. Pour monuments : un gazomètre dont l’énorme cloche en fer s’élevait ou s’abaissait dans sa cage de maçonnerie armée de bras articulés : un abattoir vers lequel des toucheurs poussaient rageusement leurs troupeaux sans méfiance, puis une caserne despotique engouffrant des victimes non moins passives, tous édifices d’un rouge sale, d’un rouge de stigmates sanguinolents.

D’heure en heure le sifflet des locomotives, la corne du garde-barrière et la cloche de l’usine se donnaient la réplique, ou les clairons des conscrits pitoyables se mariaient aux râles des ouailles. Jusqu’aux remparts des fortifications les terrains vagues alternaient avec des préaux où quêtaient des chiens gratteleux ; des jardins embryonnaires amenaient à de fades chalets fourvoyés dans cette zone rébarbative comme un joli cœur dans un conventicule de bagaudes.

Les petits chiffonniers avaient râclé depuis longtemps le goudron et défoncé ou disjoint les planches des palissades.