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LA NOUVELLE CARTHAGE

Munis de profonds sacs en rapatelle, ils escaladaient, chaque matin, la cloison, après avoir exploré du regard l’enclave abandonnée. Trifouillant du crochet et des pattes, ils exultaient lorsque, parmi les drilles, ils rencontraient une peau de charogne. Ils se disputaient cette trouvaille comme une pépite d’or ou l’arrachaient aux roquets qui décanillaient en grondant.

Les péripéties de cette cueillette firent longtemps la seule distraction des matins de Paridael. Puis il avisa des sujets d’étude plus relevés.

Autour du garde-barrière, un beau brin de mâle brunet et trapu, dont la physionomie loyale tranchait sur la grimace et les convulsions de cette banlieue et de ces rogues indigènes, tournait, depuis quelque temps, une particulière potelée à souhait, blonde et radieuse comme une emblavure, la carnation rose un peu fouettée de roux, mais des lèvres si rouges et si friandes et des yeux si enjôleurs !… Ses frais atours de camériste huppée ; ses jolis bonnets blancs et ses tabliers sans macule apprirent immédiatement à Paridael qu’elle était étrangère à ces parages. Sans doute, au hasard d’une flânerie, elle avait passé par ici et remarqué le gars de bonne mine. Elle n’était pas la première qu’eussent intrigué les prunelles couleur de café noir, la tignasse frisottée et l’air sérieux, mais non maussade, du gaillard. Il avait, en outre, une façon militaire, tout bonnement irrésistible, de planter son képi, et sa veste de velours lui prenait la taille comme un dolman ! Voisines et pas seulement les plus proches ne passaient leur chemin qu’à regret en guignant le zélé manœuvre. Les plus hardies lui faisaient des avances, ne se gênaient pas pour lui dire leur caprice tout en semblant railler, et barbelaient d’une convoiteuse œillade le lardon qu’elles lui décochaient.

La ligne étant peu importante, ce bien-voulu accumulait les fonctions de garde-barrière et d’aiguilleur. Même l’entretien du palier lui incombait comme à un simple homme d’équipe. Les évaporées le trouvaient toujours occupé. Sourd à leurs agaceries, un peu fier peut-être et les jugeant trop libres et trop triviales, il enchérissait sur son labeur, et lorsqu’il avait fini de sonner de la corne, de présenter, de dérouler et de planter son drapeau, d’ouvrir et de fermer la barrière, il s’empressait de brouetter le ballast, de recharger la voie et d’huiler les aiguilles.

La soubrette aux blancs bonnets ne se laissa pas rebuter par ces façons dédaigneuses ou farouches. Plus mignonne et de meilleur genre que les commères du quartier, à la fois plus discrète et plus affriolante, doucement elle apprivoisa le sauvage. Il commença par se redresser lorsqu’il peinait, plié en