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LA NOUVELLE CARTHAGE

péens refoulent leurs postulations charnelles ou ne se prêtent au soulagement qu’avec la répugnance d’un apoplectique qui se fait tirer une palette de sang.

Ou bien ils affrontent le lupanar comme un danger, en se montant le coup, avec des allures de bravache, et, pressés d’en finir, mènent les débauches féroces à travers les fumées de l’opium. Une flore capiteuse et entêtante, les épices, les venins et l’incandescence de l’atmosphère les fouettent, les emballent et les précipitent tout d’un bloc vers des voluptés cuisantes suivies de stupeurs et de remords…

Âmes enfantines et mystiques, ne goûtant pas le plaisir sans une sourdine d’intimité et de ferveur, ils associent à leurs nostalgies amoureuses les doux météores, les fraîches nuaisons des mers germaniques, la température lénifiante des côtes occidentales, les brises viriles et réconfortantes, même la cordialité bourrue des grains et la brusquerie des sautes-de-vent succédant à l’énervante caresse alizéenne ; le sourire discret et attendri du septentrion, les harmonieux rideaux de nuages tirés enfin sur le rayonnement implacable, et surtout le baiser quasi lustral du premier brouillard…

En revanche, ils se reprochent leur commerce avec les païennes comme un rite sacrilège.

Et jamais ils ne se reporteront à ces attentats sans que surgisse aussi le cauchemar des tourmentes de typhons et de cyclones durant lesquelles d’occultes prêtresses de Sivah, avec des sifflements et des torsions de tarasques, ne semblent pomper l’huile bouillante de la mer que pour y substituer les laves telluriennes et les métaux en fusion du firmament…