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VI

Le Carnaval.


Le cousinage de Laurent Paridael avec les couches dangereuses ou indigentes de la population, n’allait évidemment pas sans une prodigalité effrénée. On aurait dit que pour mieux ressembler à ses entours, il lui tardait de se trouver sans sou ni maille. Le vague dégoût mêlé de terreur qu’il conçut pour l’argent le jour même de sa majorité, à peine était-il entré en possession de son pécule, n’avait fait qu’augmenter depuis son explication avec les Tilbak.

Il attribuait au capital, comme à l’Or du Rhin dans la tétralogie wagnérienne, une vertu maligne et lénifère, cause de toutes les calamités humaines, et il y rapportait aussi ses afflictions personnelles. N’était-ce pas l’argent qui le séparait à la fois de Régina et d’Henriette ? Cet argent qui n’avait même pu lui rendre le grand service de retenir à Anvers ses chers amis de la Noix de Coco.

Cependant, du train dont il maltraitait son avoir, il en aurait raison en moins d’une année.

Après le départ des émigrants et sa brouille avec Bergmans, aucun contrôle, aucune exhortation ne l’arrêtait plus. Il éprouvait de la volupté à se défaire de ces écus abhorrés, à les rouler dans la boue ou à les répandre dans les milieux faméliques où ils consentent rarement à briller. Il affichait autant de mépris pour ce levier du monde moderne que les négociants lui vouaient de respect et d’idolâtrie.

Il inventait force extravagances afin de scandaliser une bourgeoisie essentiellement timorée et pudibonde, au point que sa

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