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VI

Le Costume neuf.


Cet hiver Mlle Dobouziez entrerait dans le monde. Les journées se passaient en courses et en emplettes. Gina se faisait confectionner de coûteuses et raffinées toilettes. La mère qui allait être forcée de la chaperonner et de l’accompagner, se sentait un regain de coquetterie. Elle entendit s’habiller comme une jeunesse, porter des couleurs claires, assortir ses robes et ses coiffures à celles de sa fille. Poussant à l’excès l’amour des fleurs artificielles et des rubans tapageurs elle mettait sens dessus dessous les magasins de la modiste, déroulait tous les rubans, déballait tous les cartons d’oiseaux empaillés, se trempait comme dans un bain de coques, de brides, de marabouts et de plumes d’autruches. Si Régina n’eût point été là pour prendre à part la fournisseuse, au moment de sortir et lui décommander à l’oreille, une partie des agréments choisis par la bonne dame, elle eût arboré sur ses chapeaux de quoi garnir les vases d’un maître-autel de cathédrale ou enrichir un musée de botanique et d’ornithologie. Ce n’était pas sans luttes et sans peines que Gina, très sensible au ridicule, parvenait à élaguer de quelques arbustes la pépinière que Mme Dobouziez se proposait d’offrir à l’admiration du grand monde commerçant.

Gina révélait déjà des impatiences de femme, montrait des velléités d’émancipation. Pour le milieu où elle les produirait ses toilettes de jeune fille manquaient un peu de modestie — comme s’exprime la pruderie provinciale — mais elles possédaient tant de cachet et Gina les portait avec une allure si

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