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X

L’orangerie.


Une année s’écoula encore. Le jeune Paridael obtint enfin de retourner quelques semaines au pays. Dobouziez lui fit passer un examen sommaire duquel il résulta que ce gamin s’ingéniait plus que jamais à « mordre » aux branches dont le tuteur faisait le moins de cas ou qu’il les étudiait à un point de vue tout opposé aux intentions de cet homme pratique.

Ainsi, au lieu d’apprendre des langues modernes ce que doit en savoir un bon correspondant commercial, il s’était bourré la tête de billevesées littéraires.

— Je vous le demande ! comme s’il n’existait pas assez de sornettes en langue française ! se récriait le cousin Guillaume.

Laurent était devenu un grand rougeaud aux cheveux plats, d’une santé canaille de manœuvre ; mais sous ces dehors trop matériels, sa physionomie épaisse et maussade, ce pataud cachait une complexion impressionnable à l’excès, un intense besoin de tendresse, une imagination exaltée, un tempérament passionné, un cœur altéré de justice. Son apathie extérieure, compliquée d’une insurmontable timidité et d’une élocution lente et embarrassée, entravait et contrariait des sens d’une acuité presque morbide, des nerfs vibrants et hyperesthésiques. Sous sa torpeur couvaient de véritables laves, des coulées de nostalgies et de désirs.

Dès sa plus tendre enfance il avait présenté quelque chose de différent, d’incompatible, qui avait inquiété ses parents pour son avenir. Le pressentiment des épreuves que lui réservait le monde leur rendait plus cher encore ce rejeton à la fois