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LA NOUVELLE CARTHAGE

rapprocha d’elle et l’attira brutalement à lui. Gina jeta un cri perçant auquel accourut la providentielle Félicité :

— De mieux en mieux ! glapit le factotum en se tordant les bras.

Laurent sortit en courant, les poings serrés, furieux comme s’il avait été battu et écrasé au moment de tenir une victoire. Sur-le-champ la servante fit son rapport à ses maîtres et le même jour, avant que les vacances n’eussent expiré, M. Dobouziez renvoyait Laurent au collège.

De là, le coupable tout penaud et au regret de sa violence, très inquiet des conséquences qu’elle avait eues pour Gina, écrivit lettre sur lettre demandant des nouvelles. Personne ne lui répondait. Il se faisait horreur. Sans doute Gina allait au plus mal. L’aggravation de son état n’était-elle pas due à l’émotion qu’il lui avait causée ? Peut-être était-elle à l’agonie, peut-être était-elle morte ? À la fin, n’y tenant plus il s’enfuit du pensionnat et tomba comme une bombe à la fabrique. Le télégraphe avait déjà mis la maison au courant de sa fugue. La première personne qu’il rencontra fut le terrible Saint-Fardier.

— Ah ! vous voilà, vaurien ! s’écria celui-ci, et il fit mine de vouloir lui tirer les oreilles.

— Je vous en supplie, Monsieur, s’écria Laurent, dites-moi comment va ma cousine Régina…

Mme Béjard se porte d’autant mieux qu’elle n’aura plus rien de commun avec un polisson de votre espèce…

Madame Béjard ! Laurent n’entendit que ces deux mots et demeura hébété, tellement que Saint-Fardier l’ayant pris au collet, il ne songea même pas à se défendre. Dobouziez intervint en ce moment : « Laissez, dit-il, à son associé, je vais en finir avec ce gredin ! » Et, à Laurent : « Vous, suivez-moi dans mon bureau ! »

Le jeune homme obéit machinalement,

— Voilà cent francs ! lui dit Dobouziez. Tous les premiers du mois on vous en enverra autant. Cette somme représente le revenu du modique capital que vous laissa votre père… Tirez-vous d’affaire à présent !… Bonne chance !… Ah ! une recommandation encore… Il ne faut plus compter sur aucun membre de la famille… Toutes nos portes vous sont fermées… Cette inqualifiable équipée vous met au ban des vôtres. Au revoir… Je ne vous retiens plus…

— La cousine Gina n’est pas devenue Mme Béjard, n’est-ce pas ? hasarda Laurent entendant à peine l’excommunication majeure fulminée contre lui.

Mme Béjard n’est plus votre cousine. Allons, prenez votre