Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/179

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au milieu de la charpente humaine. Tout ce qu’il en savait, c’est que sa cervelle était renfermée dans de petits sacs à l’endroit des tempes, et il n’avait pas plus l’idée de la circulation du sang que de la façon dont le papier pouvait remplacer l’or dans la circulation. Mais l’heure de la vocation était arrivée. Avant d’être descendu de sa chaise, un nouveau monde s’était révélé à lui par le pressentiment de travaux et de progrès successifs, remplissant les vastes espaces qu’avait jusque-la dérobés à sa vue une sorte d’ignorant pédantisme qu’il prenait pour la science. À partir de ce moment, Lydgate sentit germer en lui une passion intellectuelle.

Nous n’avons pas de scrupule à raconter et à raconter toujours comment un homme peut devenir amoureux d’une femme, parvenir à l’épouser ou se voir fatalement séparé d’elle à jamais. Est-ce un excès de poésie ou un excès de sottise qui veut que nous ne nous lassions pas de décrire ce que le roi Jacques appelait le « charme souverain » et la beauté de la femme, que nous ne soyons jamais fatigués d’entendre résonner les cordes grêles du vieux troubadour, et que nous nous intéressions comparativement fort peu à cet autre genre de beauté et de « charme souverain » dont le tissu est fait du travail de la pensée et du patient sacrifice de tous nos mesquins désirs ? Dans l’histoire de cette passion-là, le dénouement varie aussi : quelquefois c’est un glorieux mariage, d’autres fois une complète déception et une rupture finale. Et il n’est pas rare non plus que cette catastrophe se rattache à l’autre passion, à celle que chantent les troubadours. Dans la foule des hommes d’âge mûr qui, au cours de la vie quotidienne, remplissent leur vocation à peu près comme ils font le nœud de leur cravate, il n’en manque pas dont la jeunesse avait rêvé de plus nobles efforts, et, qui sait, de changer le monde peut-être. L’histoire de ce rêve et de la manière dont le plus souvent il arrive à prendre