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Elle quittait Tipton, Freshitt et la triste incertitude de sa route pour se rendre à la Nouvelle-Jérusalem.

M. Brooke s’installa dans son fauteuil, étendit ses jambes devant le feu de bois qui n’était plus, entre les chenets qu’un amas de braise ardente et commença à se frotter doucement les mains l’une contre l’autre en attachant sur Dorothée un regard tendre, mais avec un air neutre et désintéressé de ce qui la concernait, comme s’il n’avait rien eu à lui dire de particulier. Aussitôt que Dorothée s’aperçut de la présence de son oncle, elle ferma la brochure et se leva comme pour s’en aller.

— Je suis revenu par Lowick, vous savez, dit M. Brooke sans aucune intention apparente de la retenir, mais sans doute par tendance naturelle à répéter ce qu’il avait déjà dit. (Ce principe fondamental de tout langage humain était très accentué chez M. Brooke.) — Oui, j’ai déjeuné chez Casaubon, j’ai vu sa bibliothèque et autres choses intéressantes. L’air est bien vif aujourd’hui pour sortir en voiture découverte. Ne voulez-vous pas vous asseoir, ma chérie ; on dirait que vous avez froid.

Quand la façon légère de parler et de raisonner de son oncle n’était pas exaspérante, elle avait plutôt quelque chose de calmant. Dorothée ôta son chapeau et son manteau et s’assit en face de lui, jouissant de la chaleur de la braise, mais tenant ses deux belles mains levées devant son visage en guise d’écran. Ce n’étaient pas de petites mains délicates, c’étaient des mains puissantes, féminines, maternelles tout ensemble. Elle semblait, en les tenant ainsi, demander grâce au ciel pour son désir passionné de savoir et de connaître, désir qui n’aboutissait, avec des ennemis ligués à Tipton et à Freshitt, qu’à des pleurs et à des yeux rouges. Elle se souvint alors du pauvre condamné.

— Quelles nouvelles avez-vous de ce voleur de moutons, mon oncle ?