Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/108

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bonnes seulement à croquer les fortunes faites. Son père l’avait mis chez Mazaud pour voir s’il mordrait aux questions de finance.

— Depuis la mort de sa pauvre mère, murmura-t-il, il m’a donné bien peu de satisfaction. Enfin, peut-être apprendra-t-il là-bas, à la charge, des choses qui me seront utiles.

— Eh bien, reprit brusquement Saccard, êtes-vous avec nous ? Daigremont m’a dit de venir vous dire qu’il en était. 

Sédille leva au ciel des bras tremblants. Et, la voix altérée de désir et de crainte :

— Mais oui ! j’en suis ! vous savez bien que je ne peux pas faire autrement que d’en être ! si je refusais et que votre affaire marchât, j’en serais malade de regret… Dites à Daigremont que j’en suis. 

Lorsque Saccard se retrouva dans la rue, il tira sa montre et vit qu’il était à peine quatre heures. Le temps qu’il avait devant lui, l’envie qu’il éprouvait de marcher un peu, lui firent lâcher son fiacre. Il s’en repentit presque tout de suite, car il n’était pas au boulevard, qu’une nouvelle averse, un déluge mêlé de grêle, le força de nouveau à se réfugier sous une porte. Quel chien de temps, lorsqu’on avait Paris à battre ! Après avoir regardé l’eau tomber pendant un quart d’heure, l’impatience le prit, il héla une voiture vide qui passait. C’était une victoria, il eut beau ramener sur ses jambes le tablier de cuir, il arriva trempé rue La Rochefoucauld, et en avance d’une grande demi-heure.

Dans le fumoir où le valet le laissa, en disant que monsieur n’était pas rentré encore, Saccard marcha à petits pas, regardant les tableaux. Mais une voix de femme superbe, un contralto d’une puissance mélancolique et profonde, s’étant élevée dans le silence de l’hôtel, il s’approcha de la fenêtre restée ouverte, pour écouter : c’était madame qui répétait, au piano, un morceau qu’elle devait sans doute chanter le soir, dans quelque salon. Puis, bercé par cette musique, il en vint à songer