Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/109

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aux histoires extraordinaires que l’on contait de Daigremont : l’histoire de l’Hadamantine surtout, cet emprunt de cinquante millions dont il avait gardé en main le stock entier, le faisant vendre et revendre cinq fois par des courtiers à lui, jusqu’à ce qu’il eût créé un marché, établi un prix ; puis, la vente sérieuse, la dégringolade fatale de trois cents francs à quinze francs, les bénéfices énormes sur tout un petit monde de naïfs, ruinés du coup. Ah ! il était fort, un terrible monsieur ! La voix de dame continuait, exhalant une plainte de tendresse, éperdue, d’une ampleur tragique ; tandis que Saccard, revenu au milieu de la pièce, s’était arrêté devant un Meissonier, qu’il estimait cent mille francs.

Mais quelqu’un entra, et il fut surpris de reconnaître Huret.

— Comment, c’est déjà vous ? il n’est pas cinq heures… La séance est donc finie ?

— Ah ! oui, finie… Ils se chamaillent.

Et il expliqua que, le député de l’opposition parlant toujours, Rougon, certainement, ne pourrait répondre que le lendemain. Alors, quand il avait vu ça, il s’était risqué à relancer le ministre, pendant une courte suspension de séance, entre deux portes.

— Eh bien, demanda Saccard, nerveusement, qu’a-t-il dit, mon illustre frère ? 

Huret ne répondit pas tout de suite.

— Oh ! il était d’une humeur de dogue… Je vous avoue que je comptais sur l’exaspération où je le voyais, espérant bien qu’il allait simplement m’envoyer promener… Donc, je lui ai lâché votre affaire, je lui ai dit que vous ne vouliez rien entreprendre sans son approbation.

— Et alors ?

— Alors, il m’a saisi par les deux bras, il m’a secoué, en me criant dans la figure : « Qu’il aille se faire pendre ! » Et il m’a planté là.

Saccard, devenu blême, eut un rire forcé.

— C’est gentil.

— Dame ! oui, c’est gentil, reprit le député, d’un ton