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LES ROUGON-MACQUART.

honorabilité, et qu’il souffrait le premier de la déplorable conduite de son fils. Le juge de paix l’écoutait béatement ; sa face épaisse, ses gros yeux à fleur de tête, prenaient un air d’extase, à certains mots pieux que le prêtre prononçait d’une façon plus pénétrante. Il convint qu’il s’était montré un peu vif, il dit être prêt à toutes les excuses, du moment que monsieur le curé pensait qu’il avait péché.

— Et vos fils ? demanda l’abbé ; il faudra me les envoyer, je leur parlerai.

M. Maffre secoua la tête avec un léger ricanement.

— N’ayez pas peur, monsieur le curé : les gredins ne recommenceront pas… Il y a trois jours qu’ils sont enfermés dans leur chambre, au pain et à l’eau. Voyez-vous, quand j’ai appris l’affaire, si j’avais eu un bâton, je le leur aurais cassé sur l’échine.

L’abbé le regarda, en se souvenant que Mouret l’accusait d’avoir tué sa femme par sa dureté et son avarice ; puis, avec un geste de protestation :

— Non, non, dit-il ; ce n’est pas ainsi qu’il faut prendre les jeunes gens. Votre aîné, Ambroise, a une vingtaine d’années, et le cadet va sur ses dix-huit ans, n’est-ce pas ? Songez que ce ne sont plus des bambins ; il faut leur tolérer quelques amusements.

Le juge de paix restait muet de surprise.

— Alors, vous les laisseriez fumer, vous leur permettriez d’aller au café ? murmura-t-il.

— Sans doute, reprit le prêtre en souriant. Je vous répète que les jeunes gens doivent pouvoir se réunir pour causer ensemble, fumer des cigarettes, jouer même une partie de billard ou d’échecs… Ils se permettront tout, si vous ne leur tolérez rien… Seulement, vous devez bien penser que je ne les enverrais pas dans tous les cafés. Je voudrais pour eux un établissement particulier, un cercle, comme j’en ai vu dans plusieurs villes.