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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— « Mais venu dans un de ces jours solennels où la naissance d’un seul doit être regardée comme le salut de tous, l’Enfant de France semble aujourd’hui nous donner, à nous comme aux générations futures, le droit de vivre et de mourir au foyer paternel. Tel est désormais le gage de la clémence divine. »

Ce fut une chute de phrase exquise. Tous les députés comprirent, et un murmure d’aise passa dans la salle. L’assurance d’une paix éternelle était vraiment douce. Ces messieurs, rassurés, reprirent leurs poses charmées d’hommes politiques faisant une débauche de littérature. Ils avaient des loisirs. L’Europe était à leur maître.

— « L’empereur, devenu l’arbitre de l’Europe, continuait le rapporteur avec une ampleur nouvelle, allait signer cette paix généreuse, qui, réunissant les forces productives des nations, est l’alliance des peuples autant que celle des rois, lorsqu’il plut à Dieu de mettre le comble à son bonheur en même temps qu’à sa gloire. N’est-il pas permis de penser que, dès cet instant, il entrevit de nombreuses années prospères, en regardant ce berceau où repose, encore si petit, le continuateur de sa grande politique ? »

Très-jolie encore, cette image. Et cela était certainement permis : des députés l’affirmaient, en hochant doucement la tête. Mais le rapport commençait à paraître un peu long. Beaucoup de membres redevenaient graves ; plusieurs même regardaient les tribunes du coin de l’œil, en gens pratiques qui éprouvaient quelque ennui à se montrer ainsi, dans le déshabillé de leur politique. D’autres s’oubliaient, la face terreuse, songeant à leurs affaires, battant de nouveau du bout des doigts l’acajou de leurs pupitres ; et, vaguement, dans leur mémoire, passaient d’anciennes séances, d’anciens dévouements, qui acclamaient des pouvoirs au berceau. M. La Rou-