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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— Du Poizat n’a pas écrit ?

— Si, monsieur, répondit le secrétaire en cherchant une lettre parmi les autres. Il commence à se reconnaître dans sa préfecture. Il dit que les Deux-Sèvres, et en particulier la ville de Niort, ont besoin d’être menées par une main solide.

Rougon parcourait la lettre. Quand il l’eut achevée :

— Sans doute, murmura-t-il, il aura les pleins pouvoirs qu’il demande… Ne lui répondez pas, c’est inutile. Ma circulaire lui est destinée.

Il reprit la plume, cherchant les dernières phrases. Du Poizat avait voulu être préfet à Niort, dans son pays ; et le ministre, à chaque décision grave, se préoccupait surtout des Deux-Sèvres, gouvernant la France d’après les avis et les besoins de son ancien compagnon de misère. Il terminait enfin sa lettre confidentielle aux préfets, lorsque M. Kahn, brusquement, se fâcha.

— Mais c’est abominable ! cria-t-il.

Et tapant de la main le journal qu’il tenait, s’adressant à Rougon :

— Avez-vous lu ça ?… Il y a, en tête, un article qui fait appel aux plus mauvaises passions. Tenez, écoutez cette phrase : « La main qui punit doit être impeccable, car si la justice vient à se tromper, le lien social lui-même se dénoue. » Comprenez-vous ?… Et dans les faits divers donc ! Je trouve là l’histoire d’une comtesse enlevée par le fils d’un marchand de grains. On ne devrait pas laisser passer des anecdotes pareilles. Ça détruit le respect du peuple pour les hautes classes.

M. d’Escorailles intervint.

— Le feuilleton est encore plus odieux. Il s’agit d’une femme bien élevée qui trompe son mari. Le romancier ne lui donne pas même des remords.

Rougon eut un geste terrible.