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LES ROUGON-MACQUART.

— Oui, oui, on m’a déjà signalé ce numéro, dit-il. Vous devez voir que j’ai marqué les passages au crayon rouge… Un journal qui est à nous, pourtant ! Tous les jours, je suis obligé de l’éplucher ligne par ligne. Ah ! le meilleur ne vaut rien, il faudrait leur couper le cou à tous !

Il ajouta plus bas, en pinçant les lèvres :

— J’ai envoyé chercher le directeur. Je l’attends.

Le colonel avait pris le journal des mains de M. Kahn. Il s’indigna et le passa à M. Béjuin, qui, à son tour, parut écœuré. Rougon, les coudes sur le bureau, songeait, les paupières à demi closes.

— À propos, dit-il en se tournant vers son secrétaire, ce pauvre Huguenin est mort hier. Voilà une place d’inspecteur vacante. Il faudra nommer quelqu’un.

Et, comme les trois amis, devant la cheminée, levaient vivement la tête, il continua :

— Oh ! une place sans importance. Six mille francs. Il est vrai qu’il n’y a absolument rien à faire.

Mais il fut interrompu. La porte d’un cabinet voisin s’était ouverte.

— Entrez, entrez, monsieur Bouchard ! cria-t-il. J’allais vous faire appeler.

M. Bouchard, chef de division depuis huit jours, apportait un travail sur les maires et les préfets qui sollicitaient des croix de chevalier et d’officier. Rougon avait vingt-cinq croix à distribuer aux plus méritants. Il prit le travail, examina la liste des noms, feuilleta les dossiers. Pendant ce temps, le chef de division, s’approchant de la cheminée, donnait des poignées de main à ces messieurs. Il s’adossa, releva les pans de sa redingote, pour présenter ses cuisses à la flamme.

— Hein ? vilaine pluie, murmura-t-il. Le printemps sera tardif.