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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

et s’inclinait devant lui, il s’écria d’une voix affable :

— Vous êtes seul, monsieur le président ? J’espère bien que vous amènerez madame au banquet, ce soir…

Il s’arrêta, en voyant autour de lui l’embarras des figures. Du Poizat le poussait légèrement du coude. Alors, il se souvint que le président du tribunal de commerce vivait séparé de sa femme, à la suite de certains faits scandaleux. Il s’était trompé, il avait cru parler à l’autre président, au président du tribunal civil. Cela ne troubla en rien son aplomb. Souriant toujours, sans chercher à revenir sur sa maladresse, il reprit d’un air fin :

— J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer, monsieur. Je sais que mon collègue le garde des sceaux vous a porté pour la décoration… C’est une indiscrétion. Gardez-moi le secret.

Le président du tribunal de commerce devint très-rouge. Il suffoquait de joie. Autour de lui, on s’empressait, on le félicitait ; pendant que Rougon prenait note mentalement de cette croix donnée avec tant d’à-propos, pour ne pas oublier d’avertir son collègue. C’était le mari trompé qu’il décorait. Du Poizat eut un sourire d’admiration.

Cependant, il y avait une cinquantaine de personnes dans le grand salon. On attendait toujours, les visages muets, les regards gênés.

— L’heure avance, on pourrait partir, murmura le ministre.

Mais le préfet se pencha, lui expliqua que le député, l’ancien adversaire de M. Kahn, n’était pas encore là. Enfin celui-ci entra, tout suant ; sa montre avait dû s’arrêter, il n’y comprenait rien. Puis, voulant rappeler devant tous sa visite de la veille, il commença une phrase :

— Comme je le disais hier soir à Votre Excellence…